VIVIER CLAUDE (1948-1983)
Analyses
Afin d'avoir une idée plus précise de cette musique singulière, procédons à une analyse de quelques œuvres de Claude Vivier.
Shiraz (1977), pour piano seul, dédiée à Louis-Philippe Pelletier, est la première d'une série de pièces portant des noms de ville (à l'orthographe parfois déformée : Paramirabo, pour flûte, violon, violoncelle et piano, 1978 ; Bouchara, pour soprano, quintette à vent, quintette à cordes, percussion et bande préparée, 1981 ; Samarkand, pour quintette à vent et piano, 1981). Elle s'appuie sur une écriture strictement à quatre voix (deux voix par main). Lentement, de cette homophonie naît un contrepoint à deux voix. Et l'œuvre s'achève sur un choral que le contexte qui précède rend dès lors quelque peu énigmatique. Cela dit, Shiraz est bel et bien une toccata, mais son propos premier, s'appuyant sur une gageure extramusicale, s'articule à partir d'un unique questionnement : comment construire une œuvre avec un matériau réduit à trois mouvements des mains (stables, opposées, parallèles) ? La réponse, Claude Vivier nous l'a donnée en inventant un axe horizontal, imaginaire, par rapport auquel ces éléments vont se dérouler de façon discontinue en créant des sections et des sous-sections qui perturbent les profils de l'œuvre et l'emplissent de faux départs, de fausses sorties, de retours brusques et de creux abrupts. Il est ici inutile de chercher une transition quelconque. Tout le « jeu » se fonde alors sur la saturation et la raréfaction de l'espace sonore, sur la répétition et le changement constant de ses éléments constitutifs, sur la réfraction d'une écriture où l'absence de direction est devenue règle. Ce qui donne à cette partition son aspect paradoxal, à la fois fractionné et statique. Une musique qui ne cesse de s'énoncer et qui, par ce refus même de développer un discours, nous amène à percevoir les sons comme le seul propos.
Lonely Child est un véritable hymne à la pureté de l'enfance et à l'immortalité (dont elle est, pour Claude Vivier, le symbole) ; cette page pour soprano, percussions et cordes s'offre à l'auditeur comme un long chant de solitude homophonique, comme une ample mélodie « intervallisée ». Pour cela, Claude Vivier agence des notes autour d'une ligne mélodique originelle (ici partagée en cinq segments distincts), en prenant soin de ne point prendre en compte leurs implications harmoniques potentielles. Son attention se porte en effet ailleurs, puisque ces notes sont ici pensées comme des intervalles dont les fréquences additionnées créent un timbre. Un timbre qui possède lui-même une qualité dont l'expressivité ne dépend alors que de l'intervalle de base. Là réside le secret de ses irradiations sonores, de ses « faisceaux de couleurs » qui ne sont autres que le résultat d'une opération d'alchimie sonore, le coagula permettant la transmutation de la masse orchestrale en un timbre singulier. L'œuvre comporte quatre sections principales séparées par des coups de grosse caisse (un seul entre les sections 1 et 2, 2 et 3, dix entre les sections 3 et 4 ; le douzième coup n'arrivera jamais...). Les passages strictement homophoniques sont quant à eux ponctués par un ching thaïlandais ; précisons que ces sons de cloches (rappel de cet univers musical asiatique tant affectionné par Claude Vivier qu'il en parcourt toute son œuvre) seront même « ré-inventés » au sein de son Prologue pour un Marco Polo, grâce à son procédé de synthèse mettant en jeu, dans ce cas spécifique, cordes et clarinettes. La mélodie initiale de Lonely Child clôturera la courbe formelle de l'œuvre en lui donnant la signification du mouvement même de la vie, où naissance et mort se rejoignent dans l'allégorie de l'enfance, elle-même figure rédemptrice[...]
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Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
Classification
Autres références
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NOUVELLE SIMPLICITÉ, musique
- Écrit par Alain FÉRON
- 515 mots
En 1981 paraît chez Universal Edition, à Vienne, dans la revue StudienzurWertungsforschung dirigée par Otto Kolleritsch, une série d'articles rassemblés sous le titre Zur « neuenEinfachheit » in der Musik, que l'on peut traduire par « Vers une nouvelle simplicité en musique ». Ce...