MAGRIS CLAUDIO (1939- )
Né en 1939 à Trieste, où il a vécu jusqu'à l'âge de dix-huit ans, ayant fait ses études à Turin, l'écrivain Claudio Magris appartient à cette partie de l'Italie dont le destin historique a longtemps été lié à celui de la monarchie habsbourgeoise. Il est lui-même, dans la lignée d'Italo Svevo et d'Umberto Saba, un parfait produit de cette « identité de frontière » triestine qu'il a si bien décrite.
Une littérature des confins
De la complexité historique et culturelle qui caractérise l'ancienne métropole de la monarchie habsbourgeoise, Claudio Magris a donné les clés dans Trieste, une identité de frontière (en collaboration avec Angelo Ara, 1982, trad. franç. 1991) et dans plusieurs essais du recueil Microcosmes (1997, trad. franç. 1998). Ces portraits de régions frontalières et interculturelles où le temps historique s'est condensé dans l'espace géographique, et que l'on retrouve dans le recueil Déplacements (2002), font de Claudio Magris un des écrivains qui ont le plus radicalement transformé la littérature de voyage. Cet art d'exprimer la physionomie singulière du geniusloci pour accéder à l'universel anthropologique nous montre que la reconnaissance de l'enracinement de toute forme de vie dans un paysage ne conduit pas nécessairement à retomber dans les constructions identitaires, régionalistes ou nationalistes.
Plusieurs ouvrages de Claudio Magris ont renouvelé l'histoire culturelle de l'Europe centrale habsbourgeoise. Son premier livre, Le Mythe et l'Empire dans la littérature autrichienne moderne (1963, trad. franç. 1991), est devenu un classique. Magris y avance que l'idée de la synthèse des peuples et des nationalités opérée par les solidarités historiques successives et par le lien dynastique réunissant des territoires allant de l'ouest à l'est de l'Europe pour former l'empire habsbourgeois a été érigée en idéologie avec la stabilisation de la puissance autrichienne, au lendemain de la guerre de Trente Ans. Et si, à la fin du xviiie siècle, la prise de conscience des nationalités dans l'espace danubien a rendu fragile le « mythe habsbourgeois », à partir de l'époque marquée par le dramaturge Franz Grillparzer (1791-1872), ce mythe a connu une seconde vie, sous la forme d'une utopie de l'ordre idéal régnant entre les nations pacifiées de l'Europe centrale. Le recueil d'essais d'histoire littéraire qui compose L'Anneau de Clarisse (1984, trad. franç. 2003) complète et approfondit Le Mythe et l'Empire, à travers d'érudits et subtils chapitres consacrés à Hofmannsthal, Musil, Italo Svevo, Elias Canetti ou Heimito von Doderer. Cette réflexion sur l'histoire et la littérature se poursuivra par la suite avec un recueil de textes publié, entre 1974 et 1998, Utopie et désenchantement (1999, trad. franç. 2001).
L'Europe centrale habsbourgeoise avait donné l'illusion d'une intégration supranationale des différentes identités culturelles. Elle était apparue comme une « prison des peuples », tant qu'elle avait empêché l'émancipation des États-nations. Mais l'enchaînement de catastrophes qui, à partir de la Première Guerre mondiale, ont marqué le xxe siècle, a fini par faire du « mythe habsbourgeois » un âge d'or perdu. De ce continent englouti, le Danube était le fleuve éponyme. Il semblait avoir perdu sa réelle présence dans l'imaginaire européen. En 1986, avec Danube (trad. franç. 1988), Claudio Magris parvient à lui redonner vie en entraînant ses lecteurs dans un voyage d'exploration au fil du fleuve. Ce chef-d'œuvre d'histoire « géo-culturelle », qui renouvelait le modèle donné par Lucien Febvre dans Le Rhin en 1935, a anticipé le tournant historique de 1989 et 1990.
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Média
Autres références
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MICROCOSMES (C. Magris) - Fiche de lecture
- Écrit par Gilles QUINSAT
- 993 mots
- 1 média
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