MAGRIS CLAUDIO (1939- )
Des romans en marge de l'histoire
Un romancier sommeillait sous l'historien, le critique littéraire et l'essayiste. Enquête sur un sabre (1984, trad. franç. 1987) reconstitue l'histoire mystérieuse du général Krasnov, chef de l'armée des cosaques qui, après avoir fui la Russie stalinienne, guerroyaient en Carniole (l'ancienne province autrichienne, aujourd'hui partie de la Slovénie) entre l'été 1944 et le printemps 1945.
Une autre mer (1991, trad. franç. 1993) fait revivre la figure de Carlo Michelstaedter, génie précoce né à Gorizia qui se donna la mort en 1910, à vingt-deux ans, après avoir achevé sa thèse, La Persuasion et la rhétorique, un bref traité qui n'a rien perdu de sa force de fascination. À travers le récit de son ami Enrico Mreule, Magris nous fait parcourir le siècle que Carlo Michelstaedter avait à peine entamé : l'entre-deux-guerres, marqué par les exactions et les violences des fascistes contre les Slaves de l'arrière-pays de Trieste ; le « Reich millénaire » qui apporte la preuve sanglante « que la rhétorique est mort et destruction », comme l'avait écrit Michelstaedter ; la Libération et l'entrée de Tito à Trieste, jusqu'à la réintégration de la ville dans l'espace italien. Dans L'Exposition (trad. franç. 2003), Claudio Magris nous conduit une autre fois à Trieste pour faire revivre le personnage du peintre Vittorio Thümmel (ou Vito Timmel), un génie méconnu, à la fois dérisoire et pathétique, habitué des asiles psychiatriques, dont le destin apparaît au fil des pages comme indissolublement lié à celui de la monarchie bicéphale.
La surprenante variété des registres d'écriture va ici de pair avec une grande cohérence thématique qui s'exprime à nouveau dans À l'aveugle (2005, trad. franç. 2006) où, cette fois, le roman recourt au mythe – celui des Argonautes, notamment – pour tenter de sortir de ce que Joyce appelait « le cauchemar de l'Histoire ». De même, Vous comprendrez donc (2006, Lei dunquecapirà, trad.franç. 2008) revisite le mythe d’Orphée et Eurydice. Cette identité plurielle que l'écrivain a lui-même thématisée, ce besoin de franchir les frontières s'appliquent aussi aux limites entre les genres et les spécialités. Et là n'est pas la moindre originalité de l'œuvre mouvante, inventive et toujours surprenante de Claudio Magris.
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Média
Autres références
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MICROCOSMES (C. Magris) - Fiche de lecture
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- 993 mots
- 1 média
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