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CLÉMENCE, littérature

Décidant en dernier recours du sort d'un condamné, le prince a toujours la partie belle ; s'il laisse faire son office au bourreau, on s'incline devant sa justice et on célèbre son obéissance, peut-être douloureuse, au devoir et à la raison d'État ; s'il fait grâce, on soupçonne parfois avec admiration une arrière-pensée de profond politique et on célèbre sa magnanimité ou son humanité. L'apparent arbitraire de la décision demeure si inaccessible aux sujets du prince que pendant deux millénaires, de Sophocle à Shakespeare, nul dramaturge ne semble y avoir soupçonné le ressort d'une action tragique.

Ce n'est pas tout à fait un hasard si, entre 1640 et 1647, à l'heure où se précise l'idéologie de l'absolutisme royal et où se prépare la Fronde en réaction contre les rigueurs de Richelieu, deux dramaturges français s'avisent que le thème de la clémence monarchique peut être tragiquement efficace. Le premier est Pierre Corneille qui, dans Cinna, ou la Clémence d'Auguste (1640), reprend une anecdote retenue par Sénèque avec l'éclatant succès qu'on sait. Le second, injustement oublié de nos jours, est Jean de Rotrou : son Venceslas (1647) montre un roi de Pologne qui, malgré son amour paternel, se résigne à faire périr son fils, coupable de crime contre le royaume ; devant l'insurrection populaire qui s'oppose à l'exécution, le roi ne voit plus d'autre parti que d'abdiquer en laissant, en même temps que la vie, la couronne au fils coupable : « Roi, je n'ai pu des lois souffrir les ennemis/Père, je ne pourrai faire périr mon fils./Une perte est aisée où l'amour nous convie. »

On devine aisément pourquoi la problématique de Rotrou ne suscitera pas d'imitateurs : la clémence du prince exige son suicide politique. Le seul qui fera écho à Venceslas sera Saint-Just en 1792, lors du procès de Louis Capet : « Cet homme doit régner ou mourir », car un roi ne peut plus être un homme. « Nul ne saurait régner innocemment ; la folie en est trop évidente. »

Au contraire, le Cinna de Corneille fera école. Non pas tellement au xviie siècle, quand l'absolutisme de Louis XIV ne se soucie guère d'offrir de beaux sujets aux poètes, n'ayant guère besoin de propagandistes pour se faire vénérer ; mais dans la seconde partie du xviiie siècle, quand le despotisme éclairé cherche malaisément un moyen terme pour concilier tyrannie et humanité. Les clémences ne vont pas seulement abonder dans le théâtre de Voltaire (Alzire n'en est qu'un illustre exemple entre d'autres), mais elles vont envahir l'opéra lui-même. Pour s'en tenir à Mozart, après le Lucio Silla (la clémence de Sylla) de 1772, après la Zaïde (la clémence de Soliman) de 1779-1780, après L'Enlèvement au sérail (la clémence de Sélim), viendra en 1791 La Clemenza di Tito. Ce dernier opéra sur un livret de Métastase qui a déjà été mis en musique par Hasse, Gluck, Jommelli, Holzbauer et Guglielmi entre 1738 et 1785 !

Au-delà même du xviiie siècle, de façon inattendue, la clémence d'Auguste garde encore quelque chose de sa proliférante fécondité ; Hernani pourrait presque avoir pour sous-titre « ou la Clémence de Charles Quint », et Les Burgraves « ou la Clémence de Frédéric Barberousse ». Mais l'exigence révolutionnaire de justice va bientôt, par sa croissance, rendre impossible le recours au deus ex machina du bon plaisir souverain (l'un des derniers dénouera le Gringoire de Banville en 1866). Quelques années seulement après Les Burgraves (où déjà Frédéric Barberousse s'efface en même temps qu'il pardonne), il était impossible à Hugo proscrit d'accepter l'amnistie impériale : Les Châtimentsne pouvaient se clore sur une quelconque « clémence de Badinguet ». Et[...]

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