CLÉMENT D'ALEXANDRIE (140 env.-env. 220)
Clément d' Alexandrie représente un phénomène tout à fait original et presque unique dans l'histoire du christianisme. Il est tout d'abord le premier écrivain chrétien à concevoir le dessein d'une vaste entreprise littéraire, composée de plusieurs traités et destinée à donner un programme complet de formation spirituelle, calqué sur le programme traditionnel d'enseignement de la philosophie. Il est également le premier à concevoir le christianisme comme une méthode d'accès à la perfection individuelle, comme une école de sagesse. Il est enfin le premier à oser assumer, en tant que chrétien, toute la tradition poétique et philosophique grecque et, d'une manière plus générale, toutes les traditions religieuses et philosophiques de l'humanité. Pour lui, le Christ, Raison universelle, est identique à la Raison déposée par Dieu à l'origine du monde dans le cosmos et dans l'esprit humain.
À l'ampleur du dessein de Clément répondent l'étendue de son érudition, la profondeur de son inspiration et l'intensité d'un souffle lyrique émanant d'une âme remplie d'enthousiasme pour la Raison incarnée dans le Christ. À une culture poétique et philosophique immense, Clément ajoute une profonde connaissance des traditions exégétiques juives et chrétiennes. Cette gigantesque entreprise séduisit-elle les contemporains de Clément ? On sait peu de chose sur l'audience qu'il recueillit. Une chose est certaine : mis à part les écrivains de la tradition origéniste qui resteront fidèles à nombre de thèmes de Clément, sans toutefois garder la même ampleur de vues, la tradition chrétienne l'oublia vite. Son œuvre fut probablement jugée trop aventureuse, trop ésotérique, trop individualiste, trop peu ecclésiastique.
Le lecteur contemporain y trouvera une abondante source de renseignements concernant la littérature grecque, l'histoire des mœurs, les traditions secrètes du judaïsme et du christianisme. L'historien de la philosophie et de la pensée religieuse admirera cette tentative hardie de synthèse entre l'hellénisme, le judaïsme et le christianisme, cet équilibre rare qui s'instaure entre la quête de la sagesse et l'esprit évangélique, entre la mesure et le lyrisme, la raison et le symbolisme.
Un directeur spirituel
Clément porte le surnom « d'Alexandrie », non parce qu'il est né dans cette ville, mais parce qu'il y a exercé une activité importante pendant une partie de sa vie. On ne sait ni où ni quand exactement il est né. On sait seulement, par le témoignage de Clément lui-même, qu'il a voyagé en Grèce, en Italie méridionale, en Asie Mineure, avant de se fixer, en Égypte, à Alexandrie. Ses voyages n'étaient rien d'autre qu'une quête de la sagesse : il alla de maître en maître avant de trouver, à Alexandrie, celui qui, nous dit-il, « butinait les fleurs comme une véritable abeille dans la prairie des prophètes et des apôtres, pour déposer dans les âmes une gnose toute pure ». Clément décrit en ces termes le chrétien Pantène qui exerça sur lui l'influence la plus profonde. Comme Pantène, Clément devint un maître spirituel. Il semble bien qu'il ait reçu le sacerdoce à Alexandrie. Vers 210 ou 215, il quitta cette ville pour se rendre à Jérusalem, probablement parce que l'orientation philosophique de son enseignement ne plaisait pas à l'évêque d'Alexandrie. L'évêque de Jérusalem, Alexandre, recourut plusieurs fois à ses services : il l'envoya en ambassadeur auprès de l'Église d'Antioche et lui demanda de rédiger plusieurs ouvrages. En 233, Alexandre de Jérusalem parle de Clément comme d'un défunt.
À partir du iie siècle, tout un courant de pensée, au sein du christianisme, tend à identifier christianisme et philosophie, c'est-à-dire[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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