CLÉMENT D'ALEXANDRIE (140 env.-env. 220)
La voie gnostique : « Les Stromates » et « Les Hypotyposes »
Après la purification morale, la formation du philosophe, dans la tradition platonicienne, comportait l'initiation à un enseignement qui, lui-même, se présentait selon deux niveaux ; tout d'abord, la physique étudiait le monde sensible pour découvrir qu'il supposait un monde des Idées, un monde intelligible, dont il n'était que le reflet ; ensuite, on s'élevait à la théologie, intimement liée, nous dit Clément (Strom., I, 176, 1), à la dialectique platonicienne ; par elle, on atteignait le terme de l'initiation, les « grands mystères », le monde divin.
La quête des traces du « Verbe »
Nous ne possédons pas d'ouvrage de Clément qui réponde d'une manière littérale à ce programme. Pourtant nous pouvons légitimement supposer que les huit livres des Stromates qui nous ont été conservés et les huit livres des Hypotyposes que nous ne connaissons que par un résumé de Photius (Bibliotheca, codex 109) correspondaient à ce dessein, d'ailleurs esquissé plusieurs fois dans Les Stromates. On peut reconstituer les démarches de la pensée de Clément de la manière suivante. La vraie philosophie n'est autre que la connaissance de la Raison révélée par Dieu aux hommes dans l'Écriture sainte et dans le Christ. Le vrai sage, c'est le chrétien, lorsqu'il réalise la perfection de la vie morale et la perfection de la connaissance théologique, en un mot, pour reprendre un terme cher à Clément, lorsqu'il devient un vrai « gnostique ». Le vrai gnostique est donc un exégète, celui qui a l'intelligence spirituelle de l'Écriture sainte. N'allons pas penser que cette manière de voir soit très éloignée de la tradition philosophique grecque. À l'époque de Clément, la philosophie, avec Plutarque, avec Numénius surtout, va de plus en plus devenir une quête du παλαὶος λ́ογος, de la Raison antique, c'est-à-dire de la Raison révélée par Dieu aux origines de l'humanité. On en cherchera les traces dans les traditions et les révélations « barbares », c'est-à-dire égyptiennes et hébraïques, plus proches des origines. La philosophie deviendra ainsi une exégèse des mythes et des traditions les plus reculés. Et, d'autre part, depuis longtemps, l'enseignement philosophique avait pris la forme d'une exégèse des dialogues de Platon, disposés dans un ordre correspondant aux parties de la philosophie. Clément pouvait donc penser qu'il restait fidèle à la tradition de la vraie philosophie en retrouvant dans les écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament un cours complet de philosophie, permettant de faire parcourir à un disciple les étapes de l'initiation (Strom., I, xxviii, 176-179). La physique pouvait se retrouver dans le premier chapitre de la Genèse, dans différentes parties du Lévitique, destinées à être interprétées symboliquement. La théologie, c'est-à-dire les grands mystères, était révélée surtout dans les écrits du Nouveau Testament, dans les Évangiles et les Épîtres de Paul.
Le sage chrétien
Or, on sait par Photius que Les Hypotyposes comportaient des exégèses de la Genèse, de l'Exode, des Psaumes, de l'Ecclésiaste, des Épîtres de Paul. Cet ouvrage a donc très bien pu répondre à un programme d'initiation comportant une physique et une théologie, tirées de l'Écriture. Par rapport aux Hypotyposes, Les Stromates constituent assez bien une sorte d'introduction. D'une part, cet ouvrage montre que la vraie philosophie est dans l'Écriture sainte, puisque, chronologiquement, Moïse est antérieur à Platon. D'autre part, son thème le plus fondamental est la description du vrai gnostique, c'est-à-dire du sage chrétien, en opposition aussi bien aux philosophes qu'aux faux gnostiques, comme [...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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