MAROT CLÉMENT (1496-1544)
Un rhétoriqueur plein d'esprit et de cœur
Formé à l'école des grands rhétoriqueurs, il sut vite s'affranchir de leurs règles, même s'il garda toute sa vie certaines de leurs habitudes, et d'abord une réelle admiration pour le Moyen Âge : il édita le Roman de la Rose et les poésies de Villon.
Il traduisit la Première Bucolique, deux livres des Métamorphoses et le Jugement de Minos de Lucien (qu'il dut traduire sur une traduction). Mais sa connaissance de l'Antiquité resta superficielle : il est loin du savoir de Rabelais et de Ronsard. Il est venu trop tôt pour suivre les leçons et subir l'influence des grands humanistes, de Guillaume Budé à Dorat. Mais il avait du talent, de l'esprit, et du meilleur : cela lui suffit pour laisser une œuvre inégale, certes, mais très variée, et parfois excellente : il annonce La Fontaine, Voltaire et certains aspects de Musset.
Cette œuvre, mis à part la recherche de rythmes inédits, n'apporte que peu de nouveauté, simplement une grande diversité et, plus encore, de la spontanéité, de la sincérité.
Rhétoriqueur à l'occasion, il a composé des chants royaux bien lourds, des ballades plus lisibles, des pièces de commande, complaintes, déplorations, épitaphes, et des étrennes. Il était poète de cour : il lui fallait bien plaire à ses protecteurs et justifier les pensions qu'il recevait. Les meilleures de ses pièces se trouvent dans les rondeaux, tour à tour satiriques, laudatifs, parfois religieux ou égrillards, voire très émus. On a plaisir encore à les lire.
Du sentiment, on en trouve encore dans les Élégies, dont on n'a pu percer le secret. À qui s'adressaient-elles ? On ne sait. On y sent, sous une certaine préciosité, de l'émotion. Mais l'essentiel de l'œuvre est constitué par les Épîtres. On en compte cinquante-trois dans l'édition Constantin de 1544. Ici, Marot, qui « en pleurant cherche à vous faire rire », laisse libre cours à son esprit et à son cœur. On ne saurait mieux définir ces pièces que par ce vers, mais il faut souligner qu'il cherche à faire rire plus souvent qu'il ne pleure. Il savait mordre et il a mordu : qu'on lise ses Épigrammes, d'un ton souvent gaulois, ses Épîtres du Coq à l'Âne, sorte de chronique rimée assez obscure, pleines d'allusions aux misères de son temps, et surtout l'Épître de Fripelipes à Sagon où se déploie une verve joyeuse et féroce. Marot précurseur de Régnier, de Boileau... Et n'oublions pas L'Enfer, critique trop juste de la justice et de la police du temps.
Il reste surtout les grandes Épîtres, aussi diverses que les circonstances qui les ont inspirées : récits de ses mésaventures, de ses malheurs, prières, requêtes, plaidoyers, ou simples narrations. Marot sait y prendre tous les tons, tour à tour grave et sérieux, le plus souvent badin, désinvolte et malicieux. Il y dit ses émotions, ses joies, ses douleurs : on l'arrête, on l'emprisonne, on oublie de payer sa pension, son valet lui dérobe ses habits et sa bourse, autant de thèmes qu'il développe avec une souplesse et un esprit que seul, peut-être, Voltaire retrouvera. C'est, sous une forme familière mais plus travaillée qu'il ne semble, une première forme du lyrisme moderne.
Pour sa traduction des Psaumes, dont cinquante furent mis en musique par Claude Goudimel, il a cherché des types de strophes inédits : la leçon ne sera pas perdue. Ronsard, sans le dire, l'a suivie.
Reste une question délicate : ses opinions religieuses. Fut-il protestant ? Demeura-t-il dans l'orthodoxie catholique ? On peut plaider le pour et le contre. La Sorbonne l'a poursuivi. Calvin ne l'a pas laissé séjourner à Genève. Il faut le classer parmi ces esprits indépendants qui cherchaient alors leur voie en marge des Églises. Il cherchait sa vérité. Il se situerait[...]
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Écrit par
- Pierre JOURDA : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines de Montpellier
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