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ROSSET CLÉMENT (1939-2018)

Philosophe rare, Clément Rosset s'attache à penser la joie et le tragique, le plaisir d'exister et la nécessité du hasard, le tout se résumant en un mot de quatre lettres, en apparence fort simple à comprendre, mais dont les penseurs professionnels prennent un malin plaisir à se détourner : le réel. De fait, Clément Rosset pourrait passer à juste titre pour un monomaniaque ou un obsessionnel qui a consacré l'essentiel de son œuvre à exposer par les biais les plus divers le caractère indéfinissable, singulier et non répétable du réel. L'aveuglement humain, tissé de déni et de mauvaise foi, a sans nul doute fortement stimulé son inspiration, comme l'attestent les premiers mots de son ouvrage le plus célèbre : « Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserve l'impérieuse prérogative du réel » (Le Réel et son double, 1976). Il est en effet toujours plus facile de se détourner d’une réalité souvent gênante et insatisfaisante, de ne lui accorder qu’une sorte de tolérance, plutôt que de reconnaître son droit imprescriptible.

Fidèle à une tradition de pensée anti-idéaliste et hostile à toute herméneutique qui va de Lucrèce à Cioran (en passant par Montaigne, Spinoza, Schopenhauer et Nietzsche), mais qui sait faire son miel de la leçon de tous les classiques (Aristophane, Molière, La Fontaine, ou encore Hergé, Courteline et Offenbach), Clément Rosset a écrit une vingtaine d'ouvrages, série d'opuscules assez brefs et savoureusement rédigés, dont l'authentique « gai savoir » ne doit cependant pas faire oublier la rigueur et l'éclat tout philosophiques d'une pensée de premier ordre.

Une philosophie du tragique

Né le 12 octobre 1939 à Carteret (Manche), ancien élève de khâgne au lycée du Parc de Lyon, c'est dans la peau d'un normalien de vingt ans que Clément Rosset publie en 1960 La Philosophie tragique. En quelque manière, l'auteur ne se remit jamais de cet exploit premier qui l'a contraint à devenir philosophe : « Je n'ai pas écrit La Philosophie tragique parce que j'étais philosophe, mais je suis devenu philosophe parce que j'ai écrit La Philosophie tragique. Il n'est au fond de vocation qu'après-coup » (Franchise postale, 2003). Grâce aux leçons de Louis Althusser, auquel il sut rendre un bel hommage (En ce temps-là, 1992), Rosset passe l'agrégation, consacre ses premières recherches à Schopenhauer, et enseigne dès 1967 à l'université de Nice, où il restera jusqu'à sa retraite en 1998. Le travail sur le solitaire de Francfort rejoint d'évidence le projet d'une philosophie tragique qui était pourtant davantage inspirée par Nietzsche (sur cet auteur, voir La Force majeure, 1983). Chez Schopenhauer, qui affirme la réalité sempiternelle du monde contre toute religion de l'histoire ou du progrès, Rosset rencontre à sa source vive une énergie philosophique, pessimiste si l'on y tient, mais dans le sens où la véritable activité du philosophe est dissipatrice d'illusions qui trouvent le plus souvent leur origine dans la philosophie elle-même, lorsqu'elle se fonde sur l'être ou sur la prétention à une sagesse. Contre la religion de l'histoire et du progrès des idéalistes allemands, Schopenhauer affirme la réalité sempiternelle du monde. La reconnaissance de ce « vouloir-vivre », dont Rosset sut après Nietzsche cerner les limites, fut toujours pour lui le meilleur antidote contre les excès de son temps.

Ses deux premiers grands livres de philosophie (Logique du pire, 1971, et L'Anti-Nature, 1973) portent un sous-titre identique : « Éléments pour une philosophie tragique ». L'insistance du thème – la joie confortée par la conscience du tragique – trouve dans ces pages un premier développement d'importance avec le[...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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