EASTWOOD CLINT (1930- )
Un goût pour les marginaux
Non dénué d’une dimension élégiaque, le cinéma de Clint Eastwood ne vise pas à ressusciter un Hollywood et une Amérique historiquement dépassés, pas plus qu’un genre épuisé, mais à en retrouver l’esprit mythique fondateur. De là d’autres thèmes, déclinés sur divers modes : le vieillissement et la mort (Honkytonk Man, 1982 ; The Bridges of Madison County[Sur la route de Madison], 1995 ; Space Cowboys), la transmission d’un art de vivre et d’une morale de la part d’un adulte sur le déclin à une personnalité en formation (Honkytonk Man ; A Perfect World[Un monde parfait], 1993), ou sa négation, par exemple à travers la pédophilie (Mystic River, 2003), la transmission de la vie à travers la mort (l’euthanasie dans Million Dollar Baby, 2004)ou encore l’affirmation des valeurs traditionnelles et humanistes face à une société en déliquescence (Absolute Power[Les Pleins Pouvoirs], 1997 ; True Crime[Jugé coupable], 1999).
À partir de 1971, d’abord sous la direction de Don Siegel, Clint Eastwood, interprétera cinq fois le personnage de Harry Callahan, qui incarne certaines tendances contradictoires de la société américaine. En France, dès Dirty Harry (L’Inspecteur Harry, Don Siegel, 1971), puis avec des films tels que Magnum Force (Ted Post, 1973), The Enforcer (L’inspecteur ne renonce jamais, James Fargo, 1976), The Dead Pool (La Dernière Cible, Buddy Van Horn, 1988), l’acteur, mais aussi le réalisateur de Sudden Impact (Le Retour de l’inspecteur Harry, 1983), est accusé de machisme et qualifié de « brute fascisante ». Face à l’incurie ou à la corruption, Harry, en effet, agit seul, en marge de la loi, selon un principe qu’il énonce dans Magnum Force : « C’est très bien de tirer quand c’est sur ceux qu’il faut. » En liaison avec l’explosion de la criminalité dans la décennie précédente, le genre fleurit. Mais Harry se montre bien plus complexe que le héros de l’autodéfense qu’incarne par exemple Charles Bronson dans la série DeathWish(Un justicier dans la ville, 1974-1987). Eastwood transpose dans la ville moderne un élément central du western : la violence justifiée, fondatrice de la loi, contre la règle sauvage du plus fort ou du tireur le plus rapide. Il remet ainsi en cause l’idéologie contestataire des années 1960, faisant dire à Harry Callahan : « Si quelqu’un est contre le système, c’est bien moi. Mais tant qu’on n’en trouvera pas de meilleur, je le défendrai. » Politiquement, Eastwood peut être considéré alors comme un républicain aux idées libérales. Proche de Ronald Reagan, il fut maire sans étiquette de la ville de Carmel (Californie) de 1986 à 1988.
Dès son premier film personnel, Play Misty for Me (Un frisson dans la nuit, 1971) – un échec commercial –, Eastwood attaque l’Amérique, conformiste ou moderniste, là où le bât blesse, par exemple dans les rapports entre homme (nécessairement viril) et femme (évidemment « libérée ») : pour avoir accepté les avances d’une groupie quelque peu névrosée, un disc-jockey que le réalisateur interprète lui-même se voit harcelé, pris entre castration symbolique et masochisme... Ses films les plus personnels le portent vers des personnages marginaux, des parias animés d’une volonté d’individualisme exacerbé, ancrée au plus profond du mythe américain, capable de mener à une forme de folie : Bronco Billy, le Red Stovall de Honkytonk Man, le John Wilson de White Hunter, Black Heart (Chasseur blanc, cœur noir, 1990), qui renvoie précisément au réalisateur John Huston sur le tournage de TheAfricanQueen, de John Huston... Le jazz, autre univers apprécié d’Eastwood, tout autant pleinement américain que marginal, lui inspirera Bird (1988), film hors normes, biographie réaliste et romancée de Charlie Parker, caractéristique de son style, entre le classicisme de John Ford[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
Autres références
-
GRAN TORINO (C. Eastwood)
- Écrit par Christian VIVIANI
- 988 mots
Clint Eastwood a assigné une place particulière à Gran Torino (2008). Il a annoncé que ce serait, irrévocablement, sa dernière prestation en tant qu'acteur. Par ailleurs, le film paraît reprendre la thématique de la justice expéditive telle qu'elle s'exprimait dans L'Inspecteur...
-
MÉMOIRES DE NOS PÈRES et LETTRES D'IWO JIMA (C. Eastwood)
- Écrit par Laurent JULLIER
- 1 196 mots
À compter du 19 février 1945, une bataille de trente-quatre jours opposa dans l'île d'Iwo Jima trois divisions de marines à des soldats japonais cinq fois moins nombreux. Les deux parties en présence savaient que l'île, située à quelque 1 200 kilomètres au sud de Tōkyō, constituerait la base idéale...
-
MILLION DOLLAR BABY (C. Eastwood)
- Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS
- 952 mots
-
MILLION DOLLAR BABY (C. Eastwood), en bref
- Écrit par Arnaud BALVAY
- 275 mots
Million Dollar Baby est un film réalisé par Clint Eastwood. Clint Eastwood s'est d'abord fait connaître en tant qu'acteur (à partir de 1954), notamment pour ses nombreux rôles de cow-boy solitaire (Le Bon, la Brute et le Truand, Pour une poignée de dollars) et de dur à cuire (...
-
CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire
- Écrit par Marc CERISUELO , Jean COLLET et Claude-Jean PHILIPPE
- 21 694 mots
- 41 médias
...alterner facilité et profondeur, maîtrise et prise de risque (Crimes et délits, 1989 ; Harry dans tous ses états, 1997 ; Match Point, 2005). Quant à Clint Eastwood, né en 1930, son œuvre récente a su gagner en ampleur tragique (Mystic River, 2003 ; Million Dollar Baby, 2004) sans jamais perdre... -
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Le théâtre et le cinéma
- Écrit par Geneviève FABRE , Liliane KERJAN et Joël MAGNY
- 9 328 mots
- 11 médias
...de Michael Cimino (1980), dont l'innovation sur le plan du récit dérouta au point d'en faire le plus gros échec commercial de la période. Clint Eastwood, acteur et réalisateur, joue de la tradition en créant un héros légendaire, baroque et excessif (Josey Wales hors-la-loi, 1976 ; Pale... -
HAGGARD MERLE (1937-2016)
- Écrit par Gérard HERZHAFT
- 808 mots
Merle Haggard fut une des dernières superstars incontestées de la country music. Et ses innombrables disques d'or ne l'ont jamais empêché de dire sans détour ce qu'il pensait. Ses critiques acerbes du Nashville sound – le « son de Nashville », système de production tirant la country...