EASTWOOD CLINT (1930- )
Que transmettre ?
Les trois films suivants constituent ce qu’on a appelé une « trilogie de la réconciliation » (mais aussi de la transmission) : Gran Torino (2008), Invictus (2009) et Au-delà (2010). Gran Torino est sans nul doute le plus surprenant des trois dans la trajectoire du cinéaste. Le film s’ouvre et se clôt sur deux enterrements. Celui de l’épouse du héros, Walt Kowalski, et celui de ce dernier. Au début, cet ancien travailleur des usines Ford et vétéran de la guerre de Corée, obligé de vivre dans une maison d’un quartier d’immigrés de Detroit, ne supporte rien de ses voisins, une famille de Chinois hmong, pas plus qu’il n’estime sa propre famille. Au dénouement, des liens se seront tissés entre Walt et la communauté. Gran Torino décrit avec précision, chaleur et humour l’évolution d’un misanthrope taciturne rongé par l’échec avec sa famille et le remords d’une faute commise autrefois en Corée.
Second volet de la trilogie, Invictus est une fable philosophique qui illustre la politique de réconciliation de Nelson Mandela après son arrivée au pouvoir. Eastwood choisit de ne pas entrer dans la complexité de l’histoire sud-africaine ni dans l’existence privée de Mandela. Il privilégie l’optimisme de la ligne droite et claire. Se préoccupant de réparer les blessures passées et de favoriser la naissance d’une « nation arc-en-ciel », Mandela a très vite compris qu’il pouvait utiliser la médiatisation du sport pour rassembler, lors de la Coupe du monde de rugby organisée en 1995 à Johannesburg, Noirs et Afrikaners autour d’une équipe nationale, les Springboks. À l’opposé de la richesse esthétique et morale, de l’ambiguïté qu’il fait habituellement se déployer en cours de récit, Eastwood conduit le spectateur à s’identifier à un personnage exaltant et charismatique avant d’en laisser progressivement percevoir les failles. De fait, le film suscite l’empathie. On admire le jeu de Morgan Freeman dans le rôle de Mandela, mais on regrette le monolithisme trop fade de Matt Damon dans le rôle du capitaine des Springboks. Surtout, les principes de la méthode Mandela, « pardonner, oublier, effacer les conflits », se révèlent difficilement compatibles avec une œuvre dramatique.
La réconciliation des vivants et des morts traverse l’œuvre d’Eastwood, comme on l’a vu avec Pale Rider. Fort logiquement, Au-delà aurait dû constituer à ce titre une interrogation majeure. Les trois personnages centraux ont en effet connu une expérience de la mort. Ils communiquent avec l’au-delà ou tentent de le faire. Malheureusement, le film sombre rapidement dans un mélodrame au terme duquel chacun se réconcilie avec lui-même, avec la moitié perdue ou avec l’être rencontré, qui est peut-être un signe de l’au-delà…
J. Edgar se présente comme un biopic. Pourtant, le film que réalise Clint Eastwood sur le fondateur du FBI, John Edgar Hoover, s’intéresse plus à une énigme qu’il ne cherche à éclairer la biographie d’un personnage historique. À travers le récit de sa vie que J. Edgar Hoover dicte à un journaliste, on assiste à l’auto-construction d’un mythe. Eastwood définit parfois Hoover comme « un survivant », qui a traversé tous les épisodes de l’histoire des États-Unis de 1924 à 1972. Il nous apparaît en effet comme un fantôme largement étranger à l’image qu’il veut donner de lui-même, et surtout se donne à lui-même : « l’homme le plus puissant du monde », aime à rappeler Eastwood. On ne peut s’empêcher de songer à un film plus mythique encore : le Citizen Kane d’Orson Welles, qui ne révèle pas de secrets inédits mais nous laisse devant une explication de la vie du magnat de la presse – le fameux « Rosebud » – aussi simpliste qu’insondable. Le jeu et le maquillage de Leonardo Di Caprio dans le rôle-titre rappellent avec force ceux de Welles dans [...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
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