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CLIVAGE DU SUJET (psychanalyse)

Au xixe siècle, l'essor de recherches sur des phénomènes divers tels que le somnambulisme, la catalepsie ou l'hystérie amène à concevoir l'idée d'états de conscience séparés, de dissociation de la personnalité. Un des auteurs caractéristiques de ce courant de pensée est Pierre Janet (L'État mental des hystériques, 1894). À partir de nombreuses études de cas, il formule l'hypothèse que, chez certains individus, le « rétrécissement du champ de la conscience » ne permet plus la synthèse des phénomènes psychologiques, ce qui conduit certains de ces derniers à rester isolés.

La dissociation de la conscience de Freud et le clivage schizophrénique de Bleuler

Freud, au cours de ses premières recherches sur l'hystérie, menées avec son ami Josef Breuer, appartient également à ce courant. Le débat porte alors sur la cause de cet état de dissociation psychique, que Freud et Breuer situent, en 1893, dans un « état hypnoïde » énigmatique : « En étudiant de plus près ces phénomènes, nous nous sommes toujours davantage convaincus du fait que la dissociation du conscient[Spaltung des Bewußtseins], appelée "double conscience" [en français dans le texte] dans les observations classiques, existe rudimentairement dans toutes les hystéries » (Études sur l'hystérie, 1895).

C'est donc bien une réflexion sur la cause de la dissociation de la conscience qui conduit Freud à construire une théorie originale. Fondée sur le principe général d'un conflit intrapsychique lié aux exigences contradictoires de deux pulsions essentielles (pulsion du moi et libido), elle conduirait au refoulement d'affects et de représentations inconciliables entre les exigences du moi et celles de la réalité. Aux états divisés de conscience, au subconscient conçu simplement comme un état de conscience affaibli, Freud substitue une séparation entre des systèmes (préconscient-conscient et inconscient) dont le mode de fonctionnement psychique obéit à des lois propres. Le clivage n'est, de ce point de vue, que la conséquence d'une conflictualité psychique profonde dont les manifestations ne sont pourtant pas comprises comme telles par le sujet, car le propre de la névrose est précisément l'ignorance de cette déchirure au sein du psychisme. L'introduction officielle du terme de clivage dans le vocabulaire psychiatrique se fait, en revanche, dans une tout autre perspective.

Le psychiatre suisse Eugen Bleuler, créateur du terme de schizophrénie (du grec schizein, « fendre », et phrên, « esprit ») dans son ouvrage paru en 1911, Dementia Praecox ou groupe des schizophrénies, fait du clivage (ou Spaltung) un des phénomènes majeurs de cette affection psychique. Il comprend le clivage comme une dislocation des diverses fonctions psychiques, qui entraîne une rupture des associations. Il s'agit du noyau de la maladie à partir duquel la personnalité du schizophrène va se réorganiser. Les symptômes secondaires les plus visibles tels qu'hallucinations, délires ou stupeurs catatoniques sont définis par Bleuler comme des mécanismes de défense contre le clivage. Or, contrairement à ce que construit Freud, le clivage schizophrénique est entièrement visible. Les phénomènes d'absence d'association verbale et de dissociation affective ne se situent pas sur le plan de l'inconscient et ne relèvent pas d'une conflictualité psychique, mais d'un relâchement des associations, dont la cause profonde est, pour Bleuler, organique.

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, psychologue au centre médico-psychologique de Villeneuve-Saint-Georges

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