CLUNY, APOGÉE DE L'ART ROMAN (exposition)
Cluny matérialise de bien des manières l'histoire d'un élan et d'une passion. Tout commence avec une abbaye fondée en 910 sur les terres de Bourgogne et qui, sous l'impulsion d'une lignée d'hommes exceptionnels, du premier abbé, Bernon, à Hugues (1049-1109), ou Pierre le Vénérable (1122-1156), va devenir rapidement une des branches majeures de l'ordre bénédictin. À la suite de fondations successives, l'abbaye compte au début du xiie siècle plus de onze cents maisons qui dépendent d'elles. C'est également l'histoire de créations artistiques qui se situent au tout premier plan de l'Europe médiévale. Sur la base d'autres choix que ceux des Cisterciens, Cluny va nourrir son art d'une spiritualité tout entière tendue vers l'exaltation de Dieu, marquée par une liturgie riche et complexe, et qui offre au Seigneur ce qu'il y a de plus beau, tant par son ampleur que par ses qualités esthétiques et son symbolisme. Construit dans les dernières décennies de l'abbatiat de Hugues, l'édifice que les historiens de l'art ont pu appeler Cluny III est d'une audace inouïe : près de cent quarante mètres de longueur – sans le narthex postérieur –, un chevet à double transept, un déambulatoire ouvrant sur des chapelles rayonnantes, une hauteur de voûte de trente mètres pour la nef, de trente-trois mètres pour les coupoles sous les clochers (plus que la nef, postérieure, de Notre-Dame de Paris), le tout rehaussé par un décor sculpté remarquable.
Cluny, c'est enfin une décadence, un drame, et une redécouverte elle aussi passionnée. Dès le xiiie siècle, avec notamment la concurrence des ordres mendiants ou des chanoines réguliers, Cluny voit son poids spirituel et politique – car les abbés de Cluny étaient de grands personnages de la chrétienté qui ne rendaient compte qu'au pape – diminuer peu à peu. À la Révolution française, l'abbaye est adjugée comme bien national, et les bâtiments sont démantelés par l'acquéreur. Mais Cluny n'en reste pas moins un sillon creusé avec bonheur par l'histoire de l'art, dans la redécouverte de ce que fut l'abbaye disparue pour l'essentiel, et de son rayonnement dans la diffusion des formes artistiques. Des fouilles menées de 1928 à 1950 par l'Américain Kenneth John Conant aux multiples études dont le bilan est présenté dans l'ouvrage dirigé par Neil Stratford Cluny 910-2010. Onze siècles de rayonnement, l'abbaye n'a cessé de porter avec bonheur l'enthousiasme des chercheurs.
L'année 2010, onze siècles après la fondation de l'abbaye de Cluny, a été marquée à la fois par l'aboutissement de quatre ans d'une restauration réussie des espaces subsistants et par une exposition majeure, Cluny, apogée de l'art roman (17 juillet-30 septembre 2010). À partir du bras sud du grand transept, ce fragment sublime qui donne le vertige, le visiteur mesure l'audace des constructeurs romans, tandis que les nouvelles technologies lui permettent aussi, sur place, dans une reconstitution qui ne remplace pas la visite mais la nourrit, de visualiser les volumes disparus. L'exposition a permis, de son côté, de réunir et de comparer des pièces exceptionnelles, mais aussi de publier un catalogue qui constitue une somme sur l'art roman clunisien et sa diffusion de Cluny jusqu'en Espagne, Lombardie, Angleterre, ainsi que dans les terres d'Empire. Enfin le destin de ces créations à l'époque gothique puis après le Moyen Âge est également pris en compte.
Le bilan de l'ensemble renouvelle notre regard sur ces domaines. L'architecture et les arts, aux xe et xie siècles, dans ce qu'il convient d'appeler le « premier art roman », nous restent encore mal connus, à l'exemple de l'église de Cluny II, dont des fouilles en cours[...]
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
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