COBRA, mouvement artistique
L'expérimentation au service d'un art « sauvage »
« L'expérimentation n'est pas seulement un instrument de connaissance, écrit Constant, elle est la condition même de la connaissance. » L'automatisme promu par les surréalistes n'en fut qu'une ébauche avortée, dans la mesure où, prenant son ancrage dans la croyance en une pensée « pure », il n'aboutit qu'à l'illustration de cette croyance. Pour les cobras, appréhender la teneur profonde du psychisme n'est pas tant une finalité qu'un moyen de remonter aux sources du désir, de l'angoisse, de la joie, et de favoriser leur manifestation au cœur des signes qu'ils produisent.
Au souci de la représentation, ils substituent la mise en œuvre d'une dynamique spontanée, instinctive, entre le corps et la matière. « Il s'agit de plonger plus profondément, en pleine terre, en pleine eau, en plein feu, en plein air », dit Alechinsky, de réveiller l'animalité qui palpite en tout homme « civilisé ». Ignorante de tout savoir-faire, indifférente aux notions de beauté et de laideur, l'« imagination matérielle » (Bachelard) accède à la plasticité sans avoir recours aux codes de la représentation.
Cet art « sauvage » se traduit en peinture par une abondance de tracés appuyés ou hésitants, et de couleurs vives aux contrastes saisissants, d'où surgissent des formes cocasses ou tourmentées – masques, figures de carnaval, animaux fabuleux – réminiscences singulières d'un imaginaire collectif aussi menaçant qu'enchanteur. Marqués par la mythologie scandinave (dont l'expositionHøst organisée par les Danois, en 1948, révéla la richesse thématique à leurs amis belges et hollandais), par le folklore (Pierre Alechinsky et Serge Vandercam peignent les Gilles et les chapeaux à plumes du carnaval de Binche) et par les arts primitifs (« Le masque, écrit Jorn, est l'élément de base de tous les arts picturaux et sculpturaux »), les cobras décèleront aussi la beauté des œuvres des aliénés (Jorn travailla en 1939 dans un hôpital psychiatrique de Roskilde, et Atlan séjourna à Sainte-Anne durant la guerre), et les ferments symboliques contenus dans les graffitis et les dessins d'enfants. Pour eux, la composition ne procède pas d'une idée préconçue. C'est une fois advenue que l'image appelle une lecture.
Exemplaires à cet égard sont les « paysages » d'Else Alfelt, dont les titres (Nonchalance. Rêve d'été, 1948, Arc-en-Ciel, 1952) animent très subjectivement une matière picturale presque abstraite. De même, lorsque Appel assimile une figure enfantine au Cri de liberté (1948), il exalte l'expressivité du masque bariolé qui lui tient lieu de visage. Quant à la Guerre peinte par Constant en 1950, elle s'incarne dans un personnage dont les attributs (tête aplatie, ligaments du bras, buste quadrillé, et jusqu'à la maison en feu) épousent les éléments d'une composition a priori insignifiante. Ce processus de métamorphose s'accomplit encore plus subtilement dans les œuvres de Pedersen (Les Dieux de la mer, 1948).
Si le geste précède la forme, la matière influe elle aussi sur son émergence. Ainsi, le panneau de bois sur lequel Appel peint ses Enfants interrogateurs (1948) offre des reliefs autour desquels « s'organisent » les visages des personnages, dont les yeux saillants et la raideur totémique accusent l'inquiétante étrangeté. Significativement, une fresque du même nom réalisée par Appel en 1949 pour l'hôtel de ville d'Amsterdam sera vandalisée, puis recouverte sur ordre du conseil municipal.
Outre des « sujets », la convocation de l'énergie corporelle appelle la naissance de formes scripturales, dont Dotremont fera plus tard valoir l'antériorité sur la fonction signifiante du langage lorsqu'il tracera ses[...]
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Écrit par
- Catherine VASSEUR : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Média
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