CODICILLE (G. Genette) Fiche de lecture
L'écriture de Gérard Genette obéit au plus simple des principes : chaque livre est issu du précédent. Cette vérité se laisse observer dès la publication des premiers essais critiques (Figures I et II), et pour les grandes enquêtes de poétique (Mimologiques, Palimpsestes, Seuils) et a fortiori pour les travaux narratologiques (Nouveau Discours du récit répondant au plus célèbre essai de Figures III) ou esthétiques (voir les deux volumes de L'Ouvre de l'art). À partir de Figures IV et surtout de Figures V (2002), le gai savoir de l'écrivain prend désormais le pas – sans pour autant l'évacuer – sur la rigueur des fameuses taxinomies genettiennes. L'auteur ne rechigne pas à parler de lui-même, de ses goûts et de certains de ses dégoûts, du monde qu'il a vu et des hommes qui l'habitèrent. Ce glissement progressif – de livre à livre, donc – aboutit à la publication d'une autobiographie qui adopte la contrainte formelle du dictionnaire. Gérard Genette appela ce livre Bardadrac (Seuil, 2006) en souvenir d'une grande amie qui appelait ainsi un sac fourre-tout au contenu par définition hétéroclite. L'ouvrage fut un surprenant succès de librairie, et Genette connut à son tour ce « quart d'heure » de célébrité auquel chacun peut prétendre aujourd'hui, si l'on en croit du moins Andy Warhol.
Cette « gloire » ouvrait nécessairement la porte à l'incompréhension, à la méconnaissance et aussi à la bêtise. On s'étonna donc que Gérard Genette fût « devenu écrivain », sans même s'apercevoir que l'expression avait déjà quelque peu servi pour l'un des principaux objets de l'attention esthétique de l'auteur. Il faut méconnaître grandement la saveur du style genettien pour être surpris ; il faut surtout sacrifier à un bel esprit de cloisonnement intellectuel. Dans le sillage de Bardadrac, Codicille (Seuil, Paris, 2009) récidive dans l'abécédaire. L'auteur tend aimablement la clef de l'édifice dès la première entrée intitulée Again, où il faut certes entendre un « à nouveau », mais aussi un « bis » plus théâtral dans cette « nouvelle performance d'un exécutant qui faisait mine de quitter la scène ». Il faudra attendre un peu, et peut-être même davantage – on ne peut que l'espérer – à la lecture de ces trois cents nouvelles pages d'une étonnante verdeur. L'auteur ne se prive pas de revenir lui-même (dans l'entrée Bienvenue) sur la réception de Bardadrac, ouvrage estampillé par le ci-devant savant « devenu écrivain » comme un « best-seller pour happy few ». Mais il serait faux de considérer Codicille comme un ouvrage réactif, ce qui contreviendrait à l'humour de l'auteur, à l'intelligence de ses réflexions et à la teneur de ses interventions qu'il convient le plus souvent d'entendre cum grano satis. Codicille ressemble certes beaucoup à Bardadrac. Les amateurs de « médialectes » et de « mots-chimères » trouveront à nouveau deux dictionnaires cachés à l'intérieur du volume, et il faut bien avouer que l'on ne se lasse pas de lire les définitions genettiennes. Citons-en quelques-unes : Occupassion : ferveur collaborationniste. Oasif : bédouin au repos. Ou dans un genre plus viril : Occiput : Jack l'éventreur.
Mais le plus grand intérêt de cette œuvre seconde réside dans la persistance de la recherche. Si la dimension biographique faisait le prix de Bardadrac, elle occultait inévitablement les passionnantes entrées consacrées à la littérature, à la musique, à la théorie littéraire et esthétique. Le second volume du dictionnaire, parce qu'il a créé les conditions d'une accoutumance, permet de se plonger avec un égal plaisir dans des entrées plus savantes. Genette revient ainsi sur la notion de [...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
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