COEN JOEL (1954- ) & ETHAN (1957- )
Le cinéma américain des années 1990 a vu l'affirmation du talent singulier des frères Coen. Cette entité unique (« les frères Coen ») n'est scindée, par nécessité formelle, que dans les génériques de ses films : Joel (qui a fait des études de cinéma à New York) y apparaît comme le metteur en scène ; Ethan (qui a fait des études de droit à Princeton) est désigné comme le producteur, et tous deux sont crédités en tant que scénaristes. Cette répartition donne l'avantage, artistiquement, à Joel. Mais en 1998, c'est Ethan qui publie un recueil de nouvelles particulièrement réussies, J'ai tué Phil Shapiro, qui en apprennent beaucoup sur l'inspiration des Coen : les histoires policières y côtoient les récits autobiographiques situés dans la communauté juive d'une Amérique profonde qui pourrait être celle du Minnesota, où les deux frères sont nés (en 1954 pour Joel, en 1957 pour Ethan).
Un burlesque noir
Venus au cinéma par la voie marginale mais créative des films d'horreur à petits budgets (Joel monte Evil Dead, 1983, de Sam Raimi, pour lequel il écrira avec Ethan le scénario Mort sur le grill, 1985), les frères Coen se distinguent d'emblée par leur style : « filmeurs » inventifs, ils s'autorisent les effets de cadrage les plus extravagants, mais possèdent aussi une connaissance achevée de la grammaire classique du cinéma. Les variations dont ils sont capables illustrent leur volonté de traiter chaque situation et chaque personnage de la façon la plus appropriée visuellement, l'important étant d'abord d'instaurer un jeu avec le spectateur, et ensuite de lui raconter une histoire dont, la plupart du temps, la logique et le sens sont nimbés de mystère et/ou de fantaisie. Dans sa grande variété, l'œuvre des Coen ne perd cependant jamais sa cohérence, d'autant qu'elle se divise clairement en deux veines explorées parallèlement : le cinéma de genre, qui privilégie la maîtrise formelle ; le cinéma de la frénésie des images, influencé par l'esprit de la bande dessinée mais ne relevant d'aucun genre établi, sinon de ce qui est un genre en soi : un film des frères Coen.
Blood Simple (Sang pour sang, 1984) ouvre cette œuvre sous les auspices de l'écrivain James M. Cain et d'Alfred Hitchcock : à partir d'une situation type du film noir (un homme engage un détective pour tuer sa femme infidèle), les frères Coen construisent une mécanique de suspense très efficace, mais déjà malicieusement distanciée. Pervertissant les références au genre, l'action de Sang pour sang devient en effet rapidement mentale, pur spectacle de la paranoïa (la femme, l'amant et le détective tuent tour à tour le mari, qu'ils croient toujours vivant). Miller'sCrossing (1990) est une confrontation moins ironique au film de gangsters, cette fois dans la veine de La Moisson rouge de Dashiell Hammett et dans le sillage de la scénographie épurée de Jean-Pierre Melville (les références au Cercle rouge et au Doulos sont explicites). Ces rimes littéraires et cinéphiliques auxquelles prennent plaisir les Coen (dans Barton Fink, 1991, il en ira de même pour Kafka et Kubrick), sont heureusement délestées de ce qui pourrait les menacer le plus : l'anachronisme et le maniérisme. Miller'sCrossing en témoigne, avec son art subtil du décalage dans le dialogue et la narration, qui entraîne une traditionnelle guerre des gangs vers des zones d'ombre et d'abstraction où les personnages risquent, plus que leur vie, leur identité. Barton Fink (palme d'or au festival de Cannes en 1991) déploie radicalement ce sens visionnaire de la mise en scène. D'un personnage falot, Barton Fink, auteur dramatique venu à Hollywood dans les années 1940, pour y écrire un scénario dans un hôtel immense, désolé et étrange, les Coen font le passeur[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
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Médias
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