COLETTE (1873-1954)
Les apprentissages
Willy, chroniqueur, spécialiste de textes d’actualité fantaisistes et humoristiques (Lettres de l’ouvreuse, L’Année fantaisiste), a surtout le génie de la direction d’auteurs. Il cornaque une écurie d’écrivains (Pierre Veber, Curnonsky, Jean de Tinan…) auxquels il commande des œuvres qu’il signe de son nom. Colette devient sa secrétaire, sa copiste, sa collaboratrice. Il entraîne sa jeune femme dans les rédactions des journaux et dans les milieux mondains, littéraires et artistiques où ses longues nattes, son accent bourguignon et ses talents de causeuse font fureur, et lui fait écrire à partir de 1895 des chroniques musicales dans La Cocarde, le journal de Maurice Barrès.
La même année, Willy suggère à Colette de « jeter sur le papier des détails piquants » sur sa jeunesse. Elle noircit des cahiers d’écolier pendant tout un été. Il aurait trouvé d’abord médiocre le récit produit, puis l’aurait redécouvert dans un tiroir en 1899 et, après quelques aménagements (introduction de calembours, d’un peu de grivoiserie et d’épisodes ouvertement saphiques), dont l’envergure reste encore discutée aujourd’hui du fait de la disparition des manuscrits, le propose à plusieurs éditeurs sous son nom propre. La publication en 1900 chez Ollendorff de Claudine à l’école fait scandale. Le succès que rencontre le livre (40 000 exemplaires vendus), habilement entretenu par Willy et aussi par Colette, avec l’aide de produits dérivés (col, parfum, chapeaux, cigarettes) et d’une adaptation théâtrale avec une célèbre comédienne de music-hall, Polaire, consacre le personnage de Claudine, première héroïne moderne du xxe siècle, en type à la fois sociologique et littéraire. S’ensuivent alors, rédigés avec la même recette, Claudine à Paris (1901), Claudine en ménage (1902), le plus corsé, et Claudine s’en va (1903). La difficulté de Colette à retrouver par la suite la propriété littéraire de son œuvre est un bon témoignage de la situation des femmes auteures à la Belle Époque.
Les Dialogues de bêtes, édités au Mercure de France en 1904 et constitués des dialogues imaginaires du chat (Kiki-la-Doucette) et du chien (Toby-chien) du couple, sont signés Colette Willy, pseudonyme que l’écrivaine va utiliser pendant quelques années. Toujours sur commande, elle écrit Minne (1904) et Les Égarements de Minne (1905), qu’elle rassemblera par la suite en un ouvrage, L’Ingénue libertine (1909).
En 1906, moment de sa séparation avec Willy, Colette se trouve dans l’obligation de subvenir à ses besoins par son travail et elle accepte de se réinventer par la scène. En février 1906, elle fait ses débuts en faune au théâtre des Mathurins, dans le mimodrame Le Désir, la chimère et l’amour. Le scandale éclate le 3 janvier 1907 avec Rêve d’Égypte, pantomime jouée au Moulin-Rouge par Colette et Yssim, alias Missy, la marquise Mathilde de Morny (1863-1944), amante de Colette. La Chair, pièce dans laquelle Colette tourne entre novembre 1907 et 1911 et où elle dévoile un sein nu, est son plus grand succès. Pendant six ans, elle se soumet à la fatigue des comédiens itinérants et fait notamment une grande tournée Charles Baret en 1909 pour interpréter le rôle-titre de Claudine à Paris. En 1910, le divorce avec Willy est officiellement prononcé.
À cette époque, Colette continue parallèlement à écrire des articles et des livres : La Retraite sentimentale (1907), Les Vrilles de la vigne (1908), un recueil de poèmes en prose,un roman autobiographique transparent, La Vagabonde (1910), L’Envers du music-hall (1913) et L’Entrave (1913), suite de La Vagabonde.
En 1911, Colette quitte Missy pour Henry de Jouvenel (1876-1935), l’un des deux rédacteurs en chef du Matin, qui devient son mari en 1912 et avec qui elle aura une fille, Colette, surnommée Bel-Gazou dans l’œuvre (La Chambre éclairée, La Maison[...]
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Écrit par
- Marie-Ève THÉRENTY : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France
Classification
Médias
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