Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

COLETTE (1873-1954)

La marque Colette

Pendant les quatre années que dure la Première Guerre mondiale, Colette est essentiellement journaliste. À de multiples égards, en effet, le journal constitue une matrice de production pour l’écrivaine, qui prépublie quasiment toujours ses romans et ses récits dans la presse avant de les éditer en librairie.

Le deuxième type romanesque conçu par Colette, celui du jeune homme oisif amant d’une maîtresse plus âgée, est justement esquissé dans quelques contes donnés au Matin en 1911-1912 avant d’aboutir à deux romans : Chéri (1920), salué d’André Gide à Anna de Noailles, et La Fin de Chéri (1926). Désormais, sans se préoccuper des bienséances, Colette raconte des amours peu conventionnelles vouées à la libération des corps, à l’expression du désir, à la recherche du plaisir plus que du bonheur. Cela lui vaut d’être censurée pour Le Blé en herbe par Le Matin en 1923 quand elle décrit une scène d’amour entre Philippe, un jeune homme, et la Dame en blanc, une femme plus âgée, tout comme pour Ces plaisirs… dans l’hebdomadaire Gringoire,en 1932, parce qu’il y est question de sexualité et de la fluctuation des identités genrées. Dans cette œuvre qui prendra ensuite le titre Le Pur et l’Impur, Colette, grâce à une juxtaposition subtile de souvenirs et de réflexions, se fait l’observatrice des diverses façons dont on peut subir l’emprise de « ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques ».

La vie rejoint l’œuvre lorsqu’à partir de l’été 1920 et jusqu’en 1925, Colette entretient une liaison avec Bertrand de Jouvenel, le fils d’Henry de Jouvenel dont elle divorce en avril 1925. Dans un court roman, La Seconde (1929), Colette fait le portrait d’un mari dominé par deux femmes et met en scène la solidarité féminine qu’elle a souvent pratiquée, en étant l’amie des maîtresses de ses maris.

Peu à peu, Colette assume sa métamorphose. Le libertinage parisien laisse place à une forme de sensualité épicurienne plus orientée vers la nature et l’écriture de soi. Ses demeures (la maison natale de Saint-Sauveur, les Monts-Boucons, La Treille Muscate, les appartements sur le jardin du Palais-Royal) vont constituer autant de stations et de manières de proposer une autobiographie oblique. Fleurs, fruits, arbres, plantes occupent dorénavant le décor de ses livres : « Je reste froide à l’agonie des corolles. Mais le début d’une carrière de fleur m’exalte. » En 1922, dans La Maison de Claudine, elle accorde une place importante à sa mère décédée dix ans plus tôt, un personnage qu’elle transforme peu à peu en mythe, notamment dans La Naissance du jour (1928) et dans Sido (1929). La création fictionnelle permet l’inversion du rapport de domination et la transformation de l’auteure en génitrice de sa mère.

Colette rencontre celui qui va devenir son troisième mari, Maurice Goudeket (1889-1977), alors négociant en perles fines, en 1925. À la fin de 1929, les affaires de Goudeket donnent des signes de faiblesse et il associe Colette à de nouveaux projets. Avec force publicité, elle ouvre un magasin de produits de beauté, rue de Miromesnil à Paris, en juin 1932, et lance la marque Colette, une expérience aussi coûteuse que désastreuse. La crainte d’être en manque d’argent, une certaine aptitude à vivre au-dessus de ses moyens, mais aussi le besoin d’affirmer sa liberté par son indépendance financière ont conduit l’écrivaine durant toute sa vie à des pratiques commerciales diverses : vente de manuscrits, textes publicitaires, conférences…

À plusieurs reprises, Colette collabore aussi à l’industrie cinématographique : elle élabore, par exemple, le scénario de La Vagabonde en 1917 pour Eugenio Perego, les dialogues en 1934 du Lac aux dames, le film de Marc Allégret, le scénario et les dialogues de Divine, le film de Max Ophüls en 1935… Elle rédige également[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France

Classification

Médias

Colette - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Colette

<em>Claudine à Paris</em>, C. Bérard - crédits : Apic/ Bridgeman/ Getty Images

Claudine à Paris, C. Bérard

Colette et Mathilde de Morny - crédits : AKG-images

Colette et Mathilde de Morny

Autres références

  • SIDO (Colette) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 128 mots

    Sido est un livre de souvenirs publié par Colette (1873-1954) en 1929-1930. La première partie, intitulée à l'origine « Sido ou les points cardinaux », paraît en juin 1929 dans La Revue hebdomadaire puis, un mois plus tard, dans une plaquette luxueuse à faible tirage aux éditions Kra....

  • HOMOSEXUALITÉ

    • Écrit par
    • 9 195 mots
    • 1 média
    Parmi les femmes présentes rue Jacob, Colette est certainement la plus célèbre de toutes. Son œuvre, dont la série des Claudine, aborde avec bonheur le thème des souvenirs féminins : la figure de la mère, les jardins de l'enfance, les secrets d'écolières, l'arrivée à Paris, enfin la découverte des...
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...conquêtes de nouveaux droits à parler, et donc à s’exprimer, à écrire. Indéniablement la place des femmes dans le champ littéraire change, d’abord avec Colette, autrice à scandale devenue la vieille dame des lettres françaises dans son appartement du Palais-Royal, mais plus radicalement avec Simone...
  • MÉDITERRANÉE, DE COURBET À MATISSE (exposition)

    • Écrit par
    • 1 034 mots

    « Si l'on demandait quelle est la plus originale création du xixe siècle, il faudrait peut-être répondre : c'est la mer. [...] Devant un spectacle qui enchante jusqu'à l'enivrement les sensibilités d'aujourd'hui, les sensibilités d'hier restaient froides, ennuyées ou même peureuses. Le...

  • MUSIDORA JEANNE ROQUES dite (1889-1957)

    • Écrit par
    • 722 mots

    Actrice française de l'ère du cinéma muet, Musidora est surtout connue pour les rôles qu'elle interpréta dans la série criminelle Les Vampires (1915) et dans Judex (1916), tous deux signés Louis Feuillade. Elle fut aussi l'une des premières réalisatrices en France.

    Fille d'un...