COLETTE (1873-1954)
Autofiction, autobiographie, fiction
Colette est-elle avec Proust, dont elle était une grande admiratrice, l’inventrice de l’autofiction ? L’autofiction, genre théorisé par Serge Doubrovsky en 1977 dans Fils, désigne un récit fondé comme l’autobiographie sur la coïncidence entre auteur, narrateur et personnage principal, mais il se réclame en même temps de la fiction par ses modalités narratives. Si Colette a exploré beaucoup de variations qui relèvent de ce genre, comme souvent, elle échappe aux classifications. En 1900, dans la série des Claudine, et malgré la présence du « je », elle rejette toute identification avec Claudine, alors même qu’une assimilation durable s’opère par la critique entre l’auteure et son héroïne, et que son premier livre de souvenirs d’enfance, La Maison de Claudine, reprend dans son titre même le nom du personnage romanesque, révélant une forme de jeu avec l’autobiographie.
Plusieurs romans (La Vagabonde, L’Entrave, Chéri, Le Blé en herbe) mettent de nouveau en scène un personnage hétéronyme (Renée Nérée, Léa, la Dame en blanc) qui doit beaucoup à Colette, tandis qu’une large part de ses œuvres (La Maison de Claudine, Sido), de ses recueils d’articles aussi, appelle la lecture autobiographique par l’énonciation à la première personne, l’identité plus ou moins explicitée entre l’auteure, la narratrice et le personnage, les événements rapportés qui évoquent des faits par ailleurs vérifiables, la posture de témoin revendiqué. Mais le brouillage est omniprésent.
Aimant à jouer avec sa propre histoire, Colette n’hesite pas, dans La Naissance du jour, à offrir une variante contrefactuelle de sa vie en proposant le roman du renoncement à l’amour à un moment où elle-même vient de s’engager dans un nouveau couple. Sans doute s’agit-il aussi, pour cette fine observatrice du jeu médiatique et littéraire, de livrer une image choisie d’elle-même qui s’organise autour de réflexions et d’idées. L’épigraphe du livre est à cet égard révélatrice : « Imaginez-vous, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle. » Ailleurs, l’écrivaine avoue : « Romans, nouvelles, épisodes romancés, agencements, assez adroits, de la fiction et de la vérité, je m’en suis tirée. » L’œuvre récuse un pacte stable, pratique la fragmentation, l’anecdotisation et propose des lignes de fuite faisant émerger un massif de réflexions éthiques, esthétiques qui insèrent Colette dans la lignée des moralistes classiques.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marie-Ève THÉRENTY : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France
Classification
Médias
Autres références
-
SIDO (Colette) - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 128 mots
Sido est un livre de souvenirs publié par Colette (1873-1954) en 1929-1930. La première partie, intitulée à l'origine « Sido ou les points cardinaux », paraît en juin 1929 dans La Revue hebdomadaire puis, un mois plus tard, dans une plaquette luxueuse à faible tirage aux éditions Kra....
-
HOMOSEXUALITÉ
- Écrit par Frédéric MARTEL
- 9 195 mots
- 1 média
Parmi les femmes présentes rue Jacob, Colette est certainement la plus célèbre de toutes. Son œuvre, dont la série des Claudine, aborde avec bonheur le thème des souvenirs féminins : la figure de la mère, les jardins de l'enfance, les secrets d'écolières, l'arrivée à Paris, enfin la découverte des... -
LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Dominique RABATÉ
- 7 278 mots
- 13 médias
...conquêtes de nouveaux droits à parler, et donc à s’exprimer, à écrire. Indéniablement la place des femmes dans le champ littéraire change, d’abord avec Colette, autrice à scandale devenue la vieille dame des lettres françaises dans son appartement du Palais-Royal, mais plus radicalement avec Simone... -
MÉDITERRANÉE, DE COURBET À MATISSE (exposition)
- Écrit par Robert FOHR
- 1 034 mots
« Si l'on demandait quelle est la plus originale création du xixe siècle, il faudrait peut-être répondre : c'est la mer. [...] Devant un spectacle qui enchante jusqu'à l'enivrement les sensibilités d'aujourd'hui, les sensibilités d'hier restaient froides, ennuyées ou même peureuses. Le...
-
MUSIDORA JEANNE ROQUES dite (1889-1957)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 722 mots
Actrice française de l'ère du cinéma muet, Musidora est surtout connue pour les rôles qu'elle interpréta dans la série criminelle Les Vampires (1915) et dans Judex (1916), tous deux signés Louis Feuillade. Elle fut aussi l'une des premières réalisatrices en France.
Fille d'un...