Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

COLLAGE

Les papiers collés : un nouveau langage

« [...] un timbre-poste véritable, un morceau de journal quotidien, un morceau de toile cirée sur laquelle est imprimée la cannelure d'un siège. L'art du peintre n'ajouterait aucun élément pittoresque à la vérité de ces objets ». Lorsque Guillaume Apollinaire évoque en 1913 la Nature morte à la chaise cannée de Picasso (1912), il rapporte la vérité picturale à la présence de l'objet rapporté dans le tableau qui, précisément, détrompe l'œil et annule l'illusion. Une nouvelle « machine à voir » (Jean Paulhan) prend ici corps : la matière picturale se met à nu comme l'architecture du langage avait été mise à nu par Mallarmé dans son poème Un coup de dé jamais n'abolira le hasard (1897). Cette désillusion s'accompagne toutefois aussitôt d'une reconstruction qui maintient l'œuvre dans le cadre dynamique d'une tension savamment entretenue entre la plénitude de la représentation et les jeux de sa mise en œuvre. Inaugurée par Braque et Picasso, poursuivie par Juan Gris et Henri Laurens, cette exploration sera de fait poussée aux confins du pictural et du sculptural (par l'introduction du carton, du métal, et l'élaboration d'objets en trois dimensions, comme avec les Guitares de Picasso, à partir de 1912), jetant ainsi les bases de la grammaire combinatoire et associative commune à ce que l'on nommera plus tard le collage et à l'assemblage. Bien que marqués par le cubisme, les animateurs des futures avant-gardes entendent néanmoins le dépasser, en mettant ses conquêtes esthétiques au service, non de l'art, mais de l'homme. Le collage se dégage de son cadre artistique pour devenir le creuset d'un langage inédit, dont l'impact visuel est appelé à promouvoir une réalité nouvelle.

La Première Guerre mondiale est le catalyseur indiscuté du travail de sape des anciens symboles incarnés par l'art. Repoussoir pour beaucoup, elle séduit les futuristes, qui la qualifient de « seule hygiène du monde » (Marinetti). À la suite de l'adoption plutôt servile par Gino Severini des procédés cubistes, le collage futuriste trouvera son expression la plus marquante dans les Mots en liberté de Carlo Carrà (1914), collages dédiés à l'énergie centrifuge libérée par des bribes de mots découpés et agencés de manière à suggérer une déflagration.

Trop souvent taxés de négativité pure, les dadaïstes prennent appui sur la spontanéité et le hasard pour désenclaver l'individualité de ses étroites limites et réinscrire l'expression dans un ordre universel – fût-il chaotique. Le collage est le médium idoine de cette dépersonnalisation. Hans Arp préfère le massicot aux ciseaux pour réaliser des Collages selon les lois du hasard résolument abstraits (1916), tandis que Raoul Haussmann, Hannah Höch et Georg Grosz transposent la cacophonie du monde moderne, à l'aide de coupures de presse, de publicités et de photographies, dans de savantes compositions collées. Issu du dadaïsme, John Heartfield assignera par la suite au photomontage une mission de propagande exclusivement politique, tandis que Kurt Schwitters, également proche du mouvement, entend assumer à lui seul l'édification d'un univers plastique inouï, Merz – à partir des épaves qui jonchent le réel. Son œuvre entière est, de fait, un immense collage d'images, de matériaux et de sons.

Dès 1915, les constructivistes russes (El Lissitzky, Varvara Stepanova, Alexandre Rodtchenko) et hongrois (Moholy-Nagy) ainsi que les néo-plasticiens hollandais (Theo Van Doesburg) prennent appui sur le collage pour élaborer une rhétorique formelle appelée à traduire la réalité objective du monde moderne. Constituées d'entités géométriques suspendues dans un espace vide, ces œuvres épurées traduisent un équilibre dynamique,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Classification

Autres références

  • AFFICHE

    • Écrit par
    • 6 818 mots
    • 12 médias
    ...Picasso, attentifs à la réalité du quotidien, et en particulier aux trouvailles plastiques de l'affichage mural, inscrivent des lettres peintes au pochoir et introduisent des éléments de textes découpés dans des journaux et autres imprimés, directement sur la toile ou sur le papier. Ils offrent alors une dimension...
  • ARP JEAN (1887-1966)

    • Écrit par
    • 1 968 mots
    Réfugié en Suisse après la déclaration de guerre, Arp expose en novembre 1915, à la galerie Tanner de Zurich, ses premierscollages, faits de papiers et d'étoffes imprimées, différents des collages cubistes par l'absence de référence à un objet. À l'occasion de cette exposition, il rencontre Sophie...
  • BERLIN ALEXANDERPLATZ, Alfred Döblin - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 898 mots
    ...Alexanderplatz, particulièrement dans la littérature allemande, est que la ville ne forme plus, comme dans le roman du xixe siècle, un simple décor. La métropole moderne vit, bouge, respire. Pour traduire cette existence, Döblin se sert de collages : il reproduit des extraits de publicités, d'articles...
  • BESTER WILLIE (1956- )

    • Écrit par et
    • 1 191 mots

    Le peintre et sculpteur Willie Bester, aîné d'une famille de sept enfants, est né en 1956 à Montagu, province du Cap, Afrique du Sud. Il avait dix ans quand le Group Areas Act du gouvernement d'apartheid obligea les siens à quitter leur ferme pour intégrer un homeland où étaient...

  • Afficher les 58 références