COLLAGE
De l'autonomie à la dissémination
Véritable laboratoire de l'imaginaire moderne durant la première moitié du xxe siècle, le collage s'impose ensuite comme un ressort essentiel du renouveau esthétique. Il est au cœur des tentatives de redéfinition des concepts et des enjeux de l'art, nécessitées non seulement par l'éclatement des formes, mais par celle du champ artistique proprement dit.
Dès la fin des années 1940, un retour du collage dans la peinture se dessine à la faveur de l'émergence de nouveaux formalismes abstraits qui détermineront, notamment, son accession à la monumentalité et à la verticalité. Si les papiers découpés par Henri Matisse entre 1943 et 1946 (la série Jazz) appartiennent au registre de la décoration, les fragments dont sont constitués certaines œuvres de Jackson Pollock, Lee Krasner ou Willem de Kooning, participent à la quête d'une expressivité compulsive et subjective. A contrario, chez Robert Motherwell, Ellsworth Kelly ou Ad Reinhardt, le collage est au service de la distanciation ; il accompagne la lente maturation de l'équilibre des formes.
Les collages réalisés sur des albums par l'Anglais Eduardo Paolozzi, à la même époque, ont pour thème explicite la pollution des beaux-arts par l'imagerie de la société de consommation promue par les magazines, les bandes dessinées et la publicité. L'ironie douce-amère qui préside à ce sabotage imprégnera dans les années 1950 et 1960 les collages d'artistes du pop art, tels que Richard Hamilton, Tom Wesselman ou Peter Blake, ainsi que les facéties parodiques de Enrico Baj. Alors que les développements de l'assemblage et de la performance provoquent un déplacement de l'expérimentation artistique dans une dimension plus « environnementale », les Combines de Robert Rauschenberg – qui associent collage, peinture et assemblage – préfigurent le brouillage des concepts qui sera systématiquement à l'œuvre dans la contre-culture des années 1960 ; les tableaux-pièges de Daniel Spoerri, sur lesquels sont fixés les reliefs d'un repas, nous forcent ainsi à l'indécision : s'agit-il de collages en trois dimensions ou d'assemblages déguisés en tableau ? Autres artistes liés au Nouveau Réalisme, les « décolleurs », Jacques de la Villeglé, mond Hains et François Dufrêne en France, et Mimmo Rotella en Italie, dérobent aux murs et aux palissades les affiches agglutinées, déchirées et délavées dont ils sont recouverts, avant de les maroufler. Le collage, ici réduit à la citation d'un pan de réalité brute – lui-même un collage anonyme –, aboutit à une métonymie : la rue est la substance de l'art.
Mais il reste des héritiers de Picabia ou Miró – comme Jean Dubuffet, Alberto Magnelli ou Gaston Chaissac – pour qui le collage demeure le ferment de l'inventivité personnelle. Étrangement, d'autres rejettent les effets de ruptures – pesés ou fortuits – inhérents au collage pour le soumettre à un dessein pré-établi ; ainsi Erró ou Bernard Réquichot, qui utilisent les éléments imagés comme autant de particules élémentaires entrant dans la composition d'une « pâte » sans aspérité, où tout écho de la réalité extérieure est en définitive étouffé par un propos obsessionnel confinant au ressassement. Une telle démarche, qui ne saurait être plus éloignée de celle des cubistes, atteste que l'ancienne notion de disegno n'a jamais été totalement bannie du collage.
Plus que l'étude de sa fortune artistique, qui n'est plus à démontrer, et celle de ses nombreux prolongements dans le domaine littéraire (William Burroughs et le « cut-up », Georges Perros et ses « papiers collés ») et musical (John Cage), le collage retient aujourd'hui l'attention en tant que phénomène socioculturel : il est désormais admis que nos modes de perception[...]
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Écrit par
- Catherine VASSEUR : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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