COLLECTION M.+M. AUER. UNE HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE (exposition)
On a beaucoup écrit sur la psychologie des collectionneurs, mais peut-être faudrait-il créer une nouvelle catégorie pour le couple Auer. Depuis plus de quarante ans, Michel Auer, photographe de formation, a réuni, d'abord seul, puis avec sa femme Michèle, non seulement quelque cinquante mille photographies, des débuts du daguerréotype à nos jours, mais aussi de très nombreux appareils, ainsi que des livres et des documents, depuis des traités d'optique et de chimie jusqu'aux caricatures témoignant du succès de ce médium comme des difficultés qu'il connut à ses débuts. Sur cette collection se greffe une activité d'auteurs, d'éditeurs, de conférenciers et d'organisateurs d'expositions, bref, un véritable apostolat au service de la photographie, de sorte que cette entreprise s'apparente, par sa dimension encyclopédique et didactique, à ce que l'on attendrait d'une institution publique plutôt que de collectionneurs privés.
L'exposition présentée, sous une forme un peu réduite, au Théâtre de la photographie et de l'image à Nice, du 16 janvier au 14 mars 2004, puis au musée d'Art et d'Histoire de Genève du 22 avril au 12 septembre, regroupait près de quatre cents objets, photographies, appareils et documents divers, déroulant sous les yeux du visiteur une histoire générale de la photographie. Elle était accompagnée d'un livre de près de six cents pages, illustré de plus de mille six cents reproductions, chaque chapitre développant le propos des sections de l'exposition. L'absence de bibliographie et, plus encore, de références précises, de l’historique des œuvres et de leurs dimensions, surprenait le lecteur ; mais l'ouvrage contient une masse impressionnante d'informations souvent inédites, en particulier sur des photographes peu connus.
Comme toute collection, celle-ci présente des inégalités dues aux occasions d'achat. Certains photographes importants ne sont pas mentionnés, ou à peine, dans le livre, et n'étaient pas représentés dans l'exposition ; mais à côté d'œuvres aussi célèbres que le recueil de Fox Talbot The Pencil of Nature (1844), le Tigre (1854) en cliché-verre de Delacroix, Rodin (1905) par Steichen ou Madrid (1933) par Cartier-Bresson, on pouvait voir, et l'on découvre dans l'ouvrage, nombre d'images de photographes moins renommés, surtout suisses, tels les daguerréotypes de Jean Gabriel Eynard ou les tirages pictorialistes de Paul Bonzon et d'Hermann Linck.
L'ambition des Auer était d'offrir un panorama de l'évolution de la photographie aussi complet que possible, et original – comme en témoigne le sous-titre de cette manifestation. En réalité, la sélection tranche surtout avec l'intellectualisation excessive dont fut et reste victime cette histoire. « Marx, Freud, Foucault, Benjamin n'entrent pas dans leur discours », remarque André Jammes à la fin de son introduction. De fait, le plan du volume trace bien les grandes lignes d'une histoire, mais écrite à partir d'un point de vue proche de celui de Raymond Lécuyer dans son Histoire de la photographie en 1945, c'est-à-dire en fonction des techniques et des usages de la photographie, alors que les études plus récentes ont tendu, sous l'influence de l'histoire de la peinture, à privilégier la notion de style pour en structurer l'évolution.
Après l'évocation des recherches qui menèrent à l'invention du procédé, c'est donc le daguerréotype, le calotype, puis l'albumine et le collodion qui servent de titres aux chapitres. Avant l'apparition du gélatino-bromure, d'autres chapitres sont consacrés au portrait, aux Nadar, à la stéréophotographie et à toutes les utilisations du nouveau procédé autres que le portrait au xixe siècle. Après un inévitable[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
Classification