COLLECTIONNISME
Une histoire en mouvement
Mobilité des objets, circulation des idées
Entre pratique savante et divertissement, goût privé et marché de l'art, mode et histoire, le collectionnisme est un monde en mouvement, à la différence de l'univers stable du musée. Quels sont les facteurs de cette mobilité ?
La collection est rarement un univers clos. Le plaisir de son propriétaire, tel le cousin Pons, est de dénicher un objet nouveau, et de faire remettre ses objets sur le marché à sa mort, pour que, comme l'écrit Edmond de Goncourt « chacun de mes objets apporte à un acquéreur, à un être bien personnel, la petite joie que j'ai eue en l'achetant ». Cette circulation des œuvres est beaucoup plus développée que ne le suggèrent les sources imprimées : des échanges sont conclus par de simples accords verbaux, la pratique des ventes aux enchères après décès, connue au xviiie siècle par les catalogues, est en fait très fréquente dès le xviie siècle en France.
Entre collectionneurs (qui occupent pourtant rarement la même position dans le champ du savoir ou le monde de l'art), voire dans l'espace même de la collection, les échanges sont multiples. Si les collectionneurs de curiosités ou d'antiques rassemblent des images comme source de connaissance, ils les regardent aussi comme des œuvres d'art. Le duc de Richelieu a joué un grand rôle dans la redécouverte de Rubens en France à la fin du xviie siècle ; le modeste docteur Lacaze, figure isolée, a beaucoup contribué à la consécration officielle de Watteau et des Le Nain en donnant sa collection au Louvre. Car, dans la république du collectionnisme, les relations sont multiples : les amateurs se retrouvent dans ces lieux de sociabilité que sont les salles de vente ou les boutiques des grands marchands, échangent des informations par des bulletins. Un même intermédiaire, critique ou conseiller, découvreur d'artistes méconnus (Thoré pour Vermeer) peut servir aussi de conseiller pour des collectionneurs traditionnels (Thoré et les frères Pereire).
À côté des préférences individuelles, qui balancent entre la norme et le caprice, il y a les modes que créent les marchands. Comme celle des collections de coquillages, lancée par Gersaint vers 1730, qui opère en trois temps. Susciter la demande : le marchand affirme que c'est une curiosité très répandue en Europe, et qu'elle est justifiée puisque « rien n'est plus séduisant que la vue d'un tiroir de coquilles bien émaillées ». L'organiser : un « catalogue raisonné des coquilles » à la fois « varié et intéressant » (Mercure de France) établit une nomenclature, dresse le programme d'une collection idéale et permet également au collectionneur d'établir une échelle de valeurs. La diffuser : une grande vente aux enchères précédée d'une exposition publique met en place un réseau de sociabilité autour de cette mode ; elle permet à la fois de constituer un noyau stable de collectionneurs et d'élargir le public : « [ces ventes] peuvent même servir à l'instruction du public, par les choses que ceux qui n'y viennent que par simple curiosité entendent dire aux connaisseurs, à qui ces ventes publiques sont l'occasion de se rassembler ».
Par ailleurs, sous l'Ancien Régime, le collectionneur est guidé par un rôle social, et la collection relève en partie de la sphère publique : accessible à une certaine élite, parfois exposée régulièrement lors des fêtes religieuses, décrite dans les guides. Au xixe siècle, avec l'essor des musées qui récupèrent cette fonction de magistrature du goût, le collectionneur peut s'aventurer dans des choix plus privés, dont la valeur est reconnue postérieurement par les musées (arts du Moyen Âge, art oriental). Dans cette « invention » de nouveaux objets, le collectionneur est souvent secondé par les hommes[...]
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Écrit par
- Olivier BONFAIT : conseiller scientifique à l'Institut national d'histoire de l'art
Classification
Médias
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