COLONIALISME & ANTICOLONIALISME
L'anticolonialisme des libéraux
Le colonialisme mercantiliste connaît des difficultés économiques, car si les colonies de plantations peuvent s'adapter au système, il n'en est pas de même des colonies de peuplement où les difficultés politiques sont insurmontables : la révolte des Américains en est la manifestation extrême (les Américains du Nord à la fin du xviiie siècle et les Américains du Sud un demi-siècle plus tard). Cependant, le colonialisme mercantiliste résiste encore, car il sert les intérêts des armateurs, mais il se heurte de plus en plus à l'anticolonialisme des libéraux fondé sur l'idée de l'inutilité des colonies. L'indépendance des États-Unis n'a pas nui à l'économie britannique. Au contraire, les relations commerciales entre les deux pays ont augmenté. Dans une conversation avec l'abbé Raynal, Arthur Young avait déjà observé que « toutes les possessions d'outre-mer ou lointaines sont des sources de faiblesse et qu'il serait sage d'y renoncer ». Dans le sillage d'Adam Smith et de l'utilitariste Bentham, les radicaux anglais opposent à la théorie colonialiste de la dépendance les bienfaits de la liberté commerciale. Cet anticolonialisme libéral, qui sera ultérieurement celui des manchestériens « Little Englanders », coexiste en Angleterre avec un mouvement humanitaire abolitionniste. Mais les deux mouvements ne se confondent pas. Sur le continent, et particulièrement en France, les événements semblent justifier cette défiance envers les colonies : affaire de Saint-Domingue et dislocation de l'empire espagnol. Les contemporains ont l'impression qu'une ère coloniale se termine. En 1814, Sismondi déconseille à la France la reconquête de Saint-Domingue. Si le Cours complet d'économie politique de J.-B. Say est de 1803, son influence s'est surtout exercée après 1815 (six éditions jusqu'en 1841). « Les vraies colonies d'un peuple commerçant, écrit J.-B. Say, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. Tout peuple commerçant doit désirer qu'ils soient tous indépendants pour devenir plus industrieux et plus riches, car plus ils seront nombreux et productifs, plus ils présenteront d'occasions et de facilités pour les échanges. Les peuples deviennent alors pour nous des amis utiles et qui ne nous obligent pas de leur accorder des monopoles onéreux ni d'entretenir à grands frais des administrations, une marine et des établissements militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où l'on sera honteux de tant de sottise et où les colonies n'auront plus d'autres défenseurs que ceux à qui elles offrent des places lucratives à donner et à recevoir, le tout aux dépens du peuple. » Or, après la chute de l'Empire, cette attitude correspond aux intérêts des notables ruraux soucieux avant tout de l'exploitation de leurs terres, des manufacturiers qui ne conçoivent pas encore que les colonies peuvent leur assurer matières premières et débouchés, des betteraviers désireux de protéger une production encore fragile contre la concurrence du sucre de canne. Tel est l'état d'esprit des « anticolonistes » qui, au début de la monarchie de Juillet, s'opposent au développement de la conquête de l'Algérie. Ainsi, en France et en Angleterre apparaît, avec des variantes et des nuances, ce que Henri Brunschwig a appelé la conception d'une « colonisation anticolonialiste » : éviter de nouvelles conquêtes, ne pas risquer des conflits européens pour des questions coloniales, favoriser l'évolution vers le self-government des colonies de peuplement.
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Écrit par
- Jean BRUHAT : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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