COLONISATION, notion de
Bien que le projet politique de domination d'une nation ne soit pas formulé dans l'Antiquité, toutes les caractéristiques de la colonisation sont déjà posées. Aux viiie et viie siècles avant J.-C., la fondation de colonies en terre étrangère se décide sous la pression démographique et par volonté de chercher des débouchés commerciaux ; elle consiste aussi à installer des colons sur de nouvelles terres pour exploiter celles-ci, et à donner à cette expansion territoriale une dimension religieuse. Le vocabulaire élémentaire de la colonisation est établi : la cité fondatrice est appelée metropolis (« cité-mère »). Mais, politiquement, la colonie de l'Antiquité est un État indépendant, à la différence des formes de sujétions développées dans les Temps modernes par l'Europe. Dès le xve siècle, le modèle de la colonisation se caractérise, selon les termes de Tzvetan Todorov (La Conquête de l'Amérique, la question de l'autre, 1982), par la conversion, l'échange inégal, la violence et la volonté de soumettre l'autre.
Une histoire coloniale sans problématique
Au xvie siècle, le mercantilisme est la première doctrine européenne de la colonisation, qui est alors simplement assimilée à une stratégie commerciale dont la finalité est d'équilibrer favorablement la balance du commerce, d'une part en dérobant du numéraire d'or et d'argent aux peuples voisins, ou en allant en quérir aux Indes occidentales, et d'autre part en assurant des débouchés aux produits européens. « Les compagnies de commerce sont les armées du Roi et les manufactures de France, ses réserves », édicte Colbert, posant pour longtemps les termes économiques de la relation entre la métropole française et ses colonies par le « système de l'exclusif », ces dernières devant par ailleurs se réduire à des établissements de commerce, comme le développe ultérieurement Montesquieu dans De l'esprit des lois (1748). Selon une théorie du contrat invoquée jusqu'au milieu du xviiie siècle par les colons autonomistes, si elles n'ont d'autre intérêt que de produire des denrées différentes de celles de la métropole et de grande valeur commerciale, les colonies n'ont une relation loyale à la métropole que si leur protection militaire, économique et morale est garantie. Les exigences des métropoles peuvent ainsi entraîner des révoltes indépendantistes comme la guerre anglo-américaine, qui débouche sur la création des États-Unis. La critique de cette première colonisation est formulée par Diderot et l'abbé Raynal au nom d'une conception universaliste de l'humanité.
On ne saurait cependant associer le siècle des Lumières à l'établissement d'un anticolonialisme radical. Bien au contraire, au nom de la raison universelle, qui permet d'accéder en même temps à la vérité et au bonheur, les philosophes construisent un paradigme européocentrique du progrès dans une acception aussi bien matérielle qu'intellectuelle et morale. Assurés que l'évolution des individus comme des sociétés est déterminée par des lois, qu'il faut organiser les sociétés sur des bases scientifiques et concilier ordre et progrès, les Républicains de la IIIe République, en France, vont élaborer la première véritable théorie de la colonisation fondée sur un devoir de civilisation et de christianisation au nom de la supériorité de l'Occident. Par les conquêtes, à la fin du xixe siècle, l'essentiel de l'empire colonial français est constitué, et le découpage du monde effectué par les Occidentaux. Cette vision du monde, largement partagée par les principales puissances européennes, notamment par la Grande-Bretagne, connaît peu de contradicteurs et ne va être officiellement gommée qu'avec la Charte de la décolonisation de 1960[...]
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Écrit par
- Myriam COTTIAS : historienne, directrice de recherche au CNRS
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