COLONISATION
Des précédents lointains
L' histoire ancienne des peuples méditerranéens nous offre essentiellement trois types de colonisation : le comptoir-escale, la cité et la clérouquie.
Commerçants et marins, les Crétois jalonnent d'escales les Cyclades, les côtes du Péloponnèse et la Méditerranée orientale, en des temps où l'on différencie mal piraterie et commerce maritime. Les Phéniciens de Tyr et de Sidon créent, eux aussi, des comptoirs dans tout le bassin de la Méditerranée, de Gadès (Cadix) à Chypre. Ces comptoirs, parfois fortifiés, reçoivent des émigrants venus des villes phéniciennes surpeuplées et sans arrière-pays. Le plus célèbre est Carthage qui, à son tour, crée son système d'« échelles ».
Quant au phénomène de l'expansion grecque, il est à la fois migration et colonisation. Migration lorsque les Éoliens, les Ioniens puis les Doriens vont s'installer sur les rives occidentales de l'Asie Mineure. Colonisation lorsqu'à partir du viiie siècle les Grecs fondent des cités dans tout le bassin de la Méditerranée, de l'Espagne au Pont-Euxin. Ils s'expatrient pour s'arracher à un sol pauvre, mais aussi à des contraintes sociales qui réservaient la propriété du sol aux grandes familles. Si les premières colonies sont des bourgs peuplés d'agriculteurs, elles ne tardent pas à devenir des centres d'artisanat et des entrepôts. Dans l'Italie méridionale et en Sicile, le réseau des colonies est particulièrement dense (Grande Grèce). Mais c'est une exception, et dans l'ensemble il s'agit d'une colonisation dispersée. Sans doute y a-t-il à l'origine de ce mouvement des villes puissantes comme Chalcis, Corinthe, Mégare, Milet, Phocée. Cependant, l'origine grecque du mot métropole ne doit pas nous tromper. Les colonies grecques sont des cités totalement indépendantes. Les liens qu'elles gardent avec la ville-mère sont d'ordre commercial ou religieux.
La clérouquie, elle, est une création volontaire de l'État athénien. Se présentant comme un poste militaire, elle est peuplée de citoyens pauvres qui restent des citoyens athéniens et reçoivent un lot de terre (cleros). De la clérouquie, on peut rapprocher les « colonies » romaines. Elles ont, elles aussi, un rôle militaire, et leurs habitants doivent participer à la défense des frontières ou à la « pacification » des peuples vaincus.
On pourrait également penser que l'évolution de la Confédération de Délos évoque un système colonial. Elle se transforme, sous l'hégémonie d'Athènes, en un véritable empire dont les cités, hier alliées, deviennent désormais sujettes. Cependant, méfions-nous des analogies que facilitent l'usage des mots et aussi certaines notions juridiques héritées du droit romain. Échappons également au piège de ces noms propres que l'on retrouve à plusieurs moments de l'histoire de la colonisation. Cadix, comptoir carthaginois, sera aussi une base romaine et le port d'où partiront au xvie siècle les galions vers l'Amérique. En occupant la Tripolitaine en 1912, les Italiens semblent renouer le fil des siècles et retrouver à Cyrène les traditions coloniales grecques, hellénistiques et romaines. Que les mots « empire », « impérialisme » ne nous abusent pas. Entre toutes les formes de domination, il y a des ressemblances. Elles sont purement formelles. Et c'est souvent pour la légitimer par son ancienneté, pour lui donner en quelque sorte des lettres de noblesse et la présenter comme une exigence des sociétés humaines qu'on fait remonter la pratique de la colonisation aussi loin que possible dans le passé.
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Écrit par
- Jean BRUHAT : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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