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COLORATION, musique

La coloration orchestrale

Dès le début du xixe siècle, les nouvelles exigences des compositeurs (de Ludwig van Beethoven, par exemple, en ce qui concerne le piano) suscitent des progrès de la facture instrumentale, qui vont rendre possible la naissance d'un nouveau langage orchestral. L'attention des compositeurs se porte sur le timbre, l'équivalent de la couleur, qui est un des moyens d'expression privilégié par les peintres romantiques. Le choix des timbres devient capital : celui-ci est destiné à faire ressentir, de façon immédiate, la violence d'une passion, la délicatesse d'un sentiment, l'insolite d'une situation. L'harmonie et la mélodie perdent leur primauté au bénéfice de la couleur et de l'intensité sonores.

« Des sonorités qui parlent des profondeurs de l'être » : c'est ainsi que Robert Schumann évoquait la musique de Carl Maria von Weber, compositeur notamment du Freischütz (1821), dont l'ambiance sonore fait pénétrer dans l'univers du fantastique. Weber a obtenu cet effet en jouant sur la spécificité des timbres qu'il a su utiliser, seuls ou associés, de façon à souligner la particularité d'une situation ou d'un état d'âme. L'exemple le plus célèbre est celui de la scène qui se passe dans la Gorge-aux-Loups, la nuit. L'association, dans les traits fulgurants, des cordes et des piccolos fait frissonner l'auditeur, épouvanté par des chœurs fantomatiques et des sonorités sourdes et menaçantes. En 1824, Hector Berlioz découvrira cette magie instrumentale et vocale. Comme Delacroix en peinture, Berlioz a le goût du mouvement et de la couleur. En 1843, il publiera son Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration modernes, dans lequel il théorise le nouveau langage qui confère un rôle structurel au timbre. L'attention particulière qu'il porte au problème du timbre et de la couleur orchestrale va dans le sens des recherches musicales de la plupart des musiciens romantiques, qui relient leur nouvelle conception du temps musical (fonction de l'instant) à une incarnation bien spécifique.

Chercher de nouvelles couleurs orchestrales implique que l'on connaisse bien toutes les spécificités sonores de chaque instrument, pour pouvoir imaginer de nouvelles combinaisons de timbres. À partir de Berlioz, la plupart des compositeurs vont avoir des préoccupations sonores du même ordre. Richard Wagner accorde un rôle primordial à la spécificité sonore de ses leitmotivs et aux modifications de la texture et de la couleur orchestrales, en jouant de l'opposition entre fusion et clarté des timbres, en liant dynamique sonore et multiplication des instruments, en assurant des effets de crescendo à partir des entrées successives de timbres nouveaux, sans pour autant renforcer l'intensité sonore de chacun des instruments.

Au xxe siècle, que ce soit à Vienne avec Arnold Schönberg ou à Paris avec Gabriel Fauré, Claude Debussy ou Maurice Ravel, toutes les recherches se portent sur les nouvelles alliances de timbres et la coloration orchestrale. Debussy a inauguré cette nouvelle façon de penser la musique en abandonnant le mode narratif pour le rêve et l'imagination : « Je veux chanter les paysages intérieurs », disait-il. En effet, avant de penser écriture, il pensait espace sonore et couleur orchestrale. Par là, il rendit la première place au son, qui devint l'élément structurel du discours musical.

Avec l'abandon de la mélodie comme structuration du discours musical, Schönberg décida d'appliquer au timbre les principes jusque-là appliqués à la mélodie, de façon à créer des mélodies de timbres. C'est ainsi que dans Farben (« Couleurs »), troisième de ses Cinq Pièces pour orchestre (1909), la mélodie se situe uniquement au niveau des timbres, et non plus au niveau des[...]

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Écrit par

  • : ancien critique à Sud-Ouest et à Contact Variété, professeur d'improvisation et d'histoire de la musique

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