COLS BLANCS
L'expression « cols blancs » traduit le white collars américain. Elle permet de repérer un groupe social qui, professionnellement, se situe dans le secteur tertiaire et qui, tant par son statut que par son attitude politique, par son mode de vie, par la perception qu'il a de lui-même, se distingue des ouvriers (blue collars) et des dirigeants (ruling class).
La sociologie empirique américaine a souvent utilisé la catégorie des cols blancs dans l'étude des répercussions, sur la vie propre ou la carrière des individus, de problèmes globaux de type économique, politique et social. Il a été montré par exemple que, dans de petites villes, les cols blancs ont tendance à se distinguer particulièrement des ouvriers, tandis que dans les grandes métropoles, ils ont beaucoup de difficulté à se constituer en groupe spécifique. De même, dans l'analyse des votes, des adhésions à un syndicat, l'attention spécifique portée aux cols blancs a permis d'introduire d'importantes nuances. Dans les analyses portant sur la scolarité, cette catégorie est apparue aussi comme très pertinente : les cols blancs s'ouvrent beaucoup plus que les ouvriers à une perspective de mobilité sociale ascendante par l'école, laquelle s'accorde avec un ordre préétabli. Il va de soi, enfin, que cette catégorie peut avoir une grande importance pour des études de marché. C. Wright Mills, dans un ouvrage célèbre, White Collar : the American Middle Classes (1951), a tracé un profil de ce groupe social ainsi que de son importance politique.
Dans la littérature sociologique française, l'expression de cols blancs existe, mais on a plus souvent recours à des équivalents tels ceux d'employés, d'employés de bureau ou plus généralement d'employés du tertiaire. La sociologie empirique française est d'ailleurs moins développée qu'aux États-Unis et elle utilise plus volontiers, dans ses analyses, les catégories socioprofessionnelles. Beaucoup de recherches portent sur des groupes que l'on peut caractériser par l'expression de cols blancs : Michel Crozier a montré par exemple que les employés de bureau, par leur capacité de résistance à l'innovation, préservent des relations hiérarchisées et bloquent ainsi des réseaux importants de communication. Les études portant sur la transformation de l'organisation de la production (introduction de l'automation, de systèmes informatiques) ont montré que certaines catégories d'employés ont été déqualifiées, voire prolétarisées, tandis que des ouvriers, techniciens possédant des qualifications plus rares, accédaient à un rang plus élevé de la hiérarchie sociale que les employés. Les emplois de bureau sont de plus en plus le fait des femmes (95 p. 100). Cette transformation tendrait à repousser la coupure ouvrier-employé à celle d'employé-cadre moyen ; le groupe des employés se modifie, ce que traduit, par exemple, l'attitude envers le syndicalisme qui s'implante de plus en plus.
La catégorie de cols blancs permet de mettre en valeur certaines caractéristiques des classes moyennes, dans une analyse sociologique qui privilégie l'étude des agents par rapport à celle des rapports sociaux. Il apparaît néanmoins que le fait de maintenir cette catégorie amène à constater la désagrégation d'un groupe dans une société où le secteur tertiaire prend une place de plus en plus importante et de plus en plus diversifiée dans la population active. On peut se demander si l'étude préalable des rapports sociaux dans une société fortement industrialisée n'inciterait pas à renoncer à l'emploi d'une notion devenue trop imprécise.
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Écrit par
- Pascale GRUSON : attachée de recherche au C.N.R.S.
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