COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS, Bernard-Marie Koltès Fiche de lecture
Un quatuor tragique
Venu au théâtre après avoir vu jouer Maria Casarès dans Médée de Sénèque, Bernard-Marie Koltès a souvent rappelé son goût pour la tragédie, shakespearienne mais aussi classique. Cette dernière référence s’applique tout particulièrement à Combat de nègre et de chiens. « J’ai découvert, écrit-il, la règle des trois unités, qui n’a rien d’arbitraire, même si on a le droit aujourd’hui de l’appliquer autrement » (Un hangar à l’ouest[notes]). Tout se passe ici en effet dans un lieu unique, au reste plus figuré que réaliste, ce qui laisse une certaine liberté d’interprétation aux scénographes, à l’instar de Richard Peduzzi imaginant, pour la création aux Amandiers, un décor plus proche d’un no man’s land de banlieue parisienne que d’un chantier au milieu de la brousse africaine, avec son monumental pont d’autoroute inachevé en surplomb de la scène.
La temporalité est également concentrée à l’extrême, aucune ellipse ne venant interrompre le déroulement de l’action, dont la durée pourrait coïncider avec celle de la représentation. Il est vrai que cette action, à partir de la crise provoquée par les arrivées quasi simultanées d’Alboury et de Léone, n’est elle-même rien d’autre que la confrontation des quatre personnages sur lesquels semble peser une sourde fatalité : celle d’une impossible conciliation, dont on devine que l’antagonisme des races (et des sexes) ne constitue peut-être qu’une expression parmi d’autres.
Koltès s’en est lui-même expliqué : « Combat de nègre et de chiens ne parle pas, en tout cas, de l’Afrique et des Noirs – je ne suis pas un auteur africain – elle ne raconte ni le colonialisme ni la question raciale. Elle n’émet certainement aucun avis » (entretien avec Jean-Pierre Hahn, Europe, 1983). Ces propos, souvent cités, ne signifient pas que le colonialisme et la question raciale n’auraient ici qu’une place anecdotique, mais plutôt que, d’une part, l’auteur ne se sent pas légitime pour en parler et, d’autre part, que si l’Afrique est bien ici concrètement et explicitement présente, ce n’est qu’à travers une enclave blanche sur le continent noir.
C’est donc bien avant tout des Blancs qu’il est question (« Ma pièce parle peut-être un peu de la France et des Blancs »). Si Alboury – un Noir – et Léone – une femme – évoluent dans un univers régi par les Blancs et les hommes, endossant à certains égards le rôle des éternels dominés, nulle solidarité ne les lie. Intrus dans le monde des dominants, ils n’en demeurent pas moins irrémédiablement étrangers l’un à l’autre. Leur apparente union, par-delà les différences, dans la scène qui les voit échanger, lui en wolof, elle en allemand, ne durera pas. Léone tente bien non seulement de rejoindre Alboury mais même, littéralement, de devenir lui en se scarifiant, de se « noircir » (à l’inverse des Noirs qui s’efforcent de blanchir leur peau), sans espoir toutefois d’y parvenir.
Des vingt scènes que comporte la pièce, aucune ne réunit les quatre personnages, deux scènes seulement en rassemblant trois (Horn, Léone et Alboury, dans les scènes XIV et XV). Les dix-huit autres sont donc des dialogues, c’est-à-dire en réalité des affrontements de monologues : conflit entre Horn et Cal, à la fois complices et adversaires ; silence obstiné d’Alboury face aux tentatives de conciliation de Horn ; désir prédateur de Cal à l’égard de Léone... La violence raciale et sexiste est bien réelle, mais comme le symbole des rapports humains.
Dès lors, puisqu’il faut sans cesse revenir au lieu comme nous y convie Koltès, le chantier, clos et isolé, au-delà de sa signification politique, apparaît bien comme l’espace théâtral par excellence. Sur la scène, des êtres incapables de se comprendre, prisonniers de leurs rôles et de leurs destins, se (dé)battent,[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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