COMÉDIE-BALLET
L'histoire de la comédie-ballet est fort courte : onze ans à peine, 1661-1672. Elle naît, en apparence, par hasard : lors de la fête de Vaux donnée par Fouquet (août 1661), afin de donner aux danseurs le temps de se changer entre les « entrées » du ballet, on intercale celle-ci entre les scènes d'une comédie. Cela s'était fait déjà : mais la nouveauté, due sans doute à l'initiative de Molière, est de donner à la comédie et au ballet le même sujet, « afin de ne pas rompre le fil ». Les Fâcheux, sujet « à tiroirs » comme celui de tous les ballets de cour, présente ainsi tour à tour des « fâcheux parlant » et des « fâcheux dansant ». Lully ne collabore à cette première œuvre que pour une courte pièce. En 1664, Molière et Lully donnent ensemble Le Mariage forcé et, en six ans, ne créeront pas moins de neuf comédies-ballets. Certaines — L'Amour médecin, George Dandin — sont l'alliance artificielle d'une comédie et de divertissements chorégraphiques ou musicaux. Mais, dans la plupart des cas, on sent chez les deux artistes le souci d'intégrer les deux domaines, et de mettre en symbiose le chanté, le dansé et le parlé. Molière accumule visiblement les situations où il serait naturel que la musique apparaisse : la sérénade sous la fenêtre d'une belle (Le Sicilien), la leçon de chant ou de danse (Le Bourgeois gentilhomme), le divertissement qu'un personnage donne à un autre. L'élément musical et chorégraphique sert parfois à faire rebondir l'action, preuve de sa parfaite intégration à celle-ci. Si certaines comédies-ballets ne se différencient guère par leur sujet de la comédie de mœurs ou de la farce (Le Bourgeois gentilhomme, Georges Dandin), Molière pratique aussi la pastorale, et semble rechercher des thèmes plus lyriques (La Princesse d'Élide, Mélicerte)>. Il semble soucieux, d'autre part, de créer un climat et un style particuliers à la comédie-ballet : sa prose y devient parfois poétique, elle l'est presque d'un bout à l'autre dans Le Sicilien. En 1671, Molière (en collaboration avec Corneille et Quinault) crée Psyché, toujours avec Lully. La tendance au lyrisme se trouve ici pleinement épanouie. Le thème est mythologique, l'atmosphère délibérément poétique, la mise en scène somptueuse. Il ne manque plus, pour que Psyché soit un opéra, que d'abandonner l'alternance du parlé et du chanté : en 1678, Thomas Corneille n'aura qu'à écrire en vers les scènes parlées, et Lully à les transcrire en récitatifs, pour qu'on obtienne, sans autre changement, un opéra. Il ne semble pas exclu que Molière ait envisagé de demander pour lui-même, ou pour Lully et lui en association, le privilège de l'opéra, qui sera accordé à Lully, en 1672, par lettres patentes du roi : cette affaire obscure est en tout cas à l'origine de la brutale rupture entre le musicien et le comédien. Molière fit faire par M.-A. Charpentier la musique de la Comtesse d'Escarbagnas et du Médecin malgré lui, mais ces deux partitions sont très inférieures à celles de Lully. Molière meurt en 1673, et la comédie-ballet disparaît avec lui.
L'importance de la comédie-ballet, indépendamment du charme de certaines œuvres (Le Sicilien) et de la verve comique des scènes musicales écrites par Lully (Monsieur de Pourceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme), vient de ce qu'elle a fait comprendre au public, habitué au ballet de cour, que la musique et la danse étaient compatibles avec une action dramatique suivie. Molière a sans doute aidé Lully dans l'apprentissage de la construction dramatique d'une œuvre, et est parvenu avec lui à la limite de l'opéra, avec Psyché. Il est ainsi incontestablement l'un des créateurs de l'opéra français. La rupture de Molière et de Lully, la mainmise[...]
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Écrit par
- Philippe BEAUSSANT : directeur de l'Institut de musique et danse anciennes de l'Île-de-France, conseiller artistique du Centre de musique baroque de Versailles
Classification
Média
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