BURLESQUE COMÉDIE, cinéma
Une pléiade de génies
Comme il était fatal, certaines personnalités émergèrent du bataillon des clowns. Au comique unanimiste, hâtif et inspiré, de Mack Sennett se substituèrent, au cours des années vingt, les silhouettes affirmées de Charlot, Buster Keaton, Harry Langdon, Harold Lloyd, Laurel et Hardy. On ne dira jamais assez la prodigieuse richesse de cette période. Longtemps, Chaplin, seul, retint l'attention, mais nous savons aujourd'hui que Buster Keaton est au moins son égal. Nous savons aussi que le mystérieux message de Harry Langdon, aussi troublant que la plus fine poésie surréaliste, n'a pas fini d'être entendu. Quant aux courts métrages de Laurel et Hardy, dirigés à l'époque par Leo Mac Carey dans le sens de l'épopée burlesque, leur force comique n'a jamais été égalée.
Cette fois, les personnages sont fixés avec la dernière précision. Le trait physique, le costume, l'accessoire, un certain mode de réaction en face du monde ont désormais valeur de signes. L'abstraction est inscrite dans les lois du genre. Ainsi, la démarche de Charlot, le visage impassible de Buster Keaton, le regard rond et fixe de Harry Langdon, une certaine malice sous les lunettes d'écailles de Harold Lloyd, le sourire niais de Stan Laurel et le rictus vaniteux d'Oliver Hardy. On voit bien alors que la singularité ne peut s'imposer de manière arbitraire. Elle ne serait alors qu'extravagance. Le génie des grands comiques est de découvrir, par une sorte de réduction à l'essentiel, une attitude humaine fondamentale, et d'en tirer toutes les conséquences.
Ainsi, le vouloir-vivre de Chaplin-Charlot, sensible dès ses premières apparitions et qui sera le moteur constant de son œuvre : « La vie est aussi inévitable que la mort », dira-t-il dans Limelight.
Ainsi, chez Keaton, une faculté d'attention jamais démentie, presque absolue. À ceux qui lui demandaient pourquoi on ne l'avait jamais vu rire sur un écran, il répondait simplement : « Je me concentre sur ce que je fais. » On découvre alors que sa merveilleuse concentration physique et morale ne trouve qu'en elle-même sa propre justification. Buster Keaton est le premier homme dans le matin du monde. Son regard est pur de toute préméditation. Il agit, il échoue, il recommence. Seuls, quelques battements de paupières, qui valent à coup sûr bien des cris d'étonnement, traduisent en lui l'intensité de la réflexion.
Si l'on veut savoir ce que recèle le mot « rêverie », il faut avoir vu un film de Harry Langdon. Dans un paysage de ruelles enneigées, sa silhouette se profile comme une apparition (dans Three's a Crowd, Papa d'un jour, 1928). Le clown blême, au visage bouffi de sommeil, tient une lampe à la main. Il la souffle. La lampe s'éteint et, avec elle, tous les réverbères alentour. Harry Langdon est à peine troublé.
Le cinéma moderne s'efforce de nous faire pénétrer dans les méandres de l'imaginaire et du souvenir, de nous faire voir par les yeux de ses héros. Il est en cela largement devancé par la comédie burlesque, puisque de la singularité du personnage découle un environnement à l'image de ses espoirs et de ses obsessions. Les figurants des films de Chaplin et ceux des films de Keaton ne semblent pas appartenir à la même humanité. Tout se passe comme si le héros comique projetait autour de lui sa vision intérieure, comme s'il créait le monde avant de l'habiter. Voilà pourquoi les grands acteurs burlesques, de Chaplin et Keaton à Jerry Lewis et Jacques Tati en passant par W. C. Fields et les frères Marx, sont les vrais auteurs de leurs films, même lorsqu'ils n'en signent pas officiellement la mise en scène.
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Écrit par
- Claude-Jean PHILIPPE : journaliste
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