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BURLESQUE COMÉDIE, cinéma

Un rire libérateur

W.C. Fields - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

W.C. Fields

En évoluant dans le temps, la comédie burlesque prend conscience de ses pouvoirs. Les Marx et W. C. Fields, puis le nouveau Chaplin, celui des Temps modernes, du Dictateur et de Monsieur Verdoux, vont révéler ouvertement les possibilités satiriques du genre. Bien sûr, l'évolution des consciences au cours des années trente (réactions à la grande crise économique, au fascisme naissant ; espoirs démocratiques ; New Deal aux États-Unis) a facilité une telle mutation. Mais elle était inscrite de longue date dans la nature même du personnage burlesque, dont on a souvent dit qu'il était inadapté, en oubliant qu'il est inadaptable, c'est-à-dire irréductible.

Les Temps modernes, C. Chaplin - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Les Temps modernes, C. Chaplin

<it>Le Dictateur</it>, de Charlie Chaplin - crédits : United Artists Corporation/ Collection privée

Le Dictateur, de Charlie Chaplin

La comédie burlesque offre, à la société qui nourrit son inspiration, un miroir qui en déforme les valeurs, mais pour mieux les révéler. Le comique d'agression pratiqué par les frères Marx dans Duck Soup (La Soupe au canard, 1933) ou par W. C Fields dans The Bank Dick (Mines de rien, 1940) n'a rien de délibéré. Pourtant, l'Amérique bien-pensante n'avait jamais eu de peintres plus féroces. Ainsi sont attaquées des valeurs familiales réputées sacrées : dans The Bank Dick, W. C. Fields menace d'un pot de fleurs sa terrible petite fille qui méprise de toute évidence son ivrogne de père. Haïssables familles... que nous retrouvons chez le dernier en date des grands acteurs-auteurs burlesques. Dans The Nutty Professor (Docteur Jerry et Mister Love, 1963), Jerry Lewis enfant pleure dans son parc, tandis que sa mère géante rudoie son gnome de père. Encore une image précise de l'Amérique, autorisée par le seul alibi de la comédie burlesque.

Lorsqu'on demande à Jerry Lewis pourquoi il incarne toujours un personnage exclu de la société, il répond : « Le problème est que l'on puisse parler de société alors que précisément tout le monde en est exclu... Chaque individu est isolé... La situation fondamentale de toute comédie est donc celle de ce personnage face à ces difficultés dont il est, bien sûr, d'une certaine manière, l'instigateur. Car il n'est pas en nous de difficulté dont nous ne soyons, au moins en partie, responsables. Source véritable de ses malheurs, le personnage comique est donc en conflit avec lui-même. »

<em>Docteur Jerry et Mister Love</em>, J. Lewis - crédits : Paramount/ Getty Images

Docteur Jerry et Mister Love, J. Lewis

Voilà pourquoi, dans chacun de ses films Jerry Lewis dédouble, et souvent multiplie, un personnage soumis à des pressions trop fortes, parfaitement aliéné.

La société industrielle avancée suscite un comique à sa mesure, le comique de The Big Mouth (Jerry la Grande Gueule, 1967) ou de Play Time (1968). On sent, chez Lewis comme chez Tati, le besoin d'effacer le personnage en le dissolvant dans son environnement, le décor de la vie moderne, à la fois invivable et beau, notre décor qui devient alors le vrai sujet du film. L'efficacité comique serait elle-même sacrifiée au profit de la liberté du spectateur, à qui on n'impose plus le rire, ni l'émotion, mais une sorte de contemplation active, un humour attentif, qui le renvoie à lui-même. C'est la raison pour laquelle Jerry Lewis dilate si souvent ses gags bien au-delà du point de rupture. Tati, quant à lui, multiplie les notations à l'infini d'un point à l'autre de l'écran large, contraignant le spectateur à l'agilité mentale. Il s'agit d'en finir avec le conditionnement du gag, en retournant le miroir vers le public plus résolument que jamais, en l'invitant à se reconnaître dans la dérision du spectacle. En cela Tati et Lewis ne font que renouer avec la tradition essentielle d'un rire libérateur, mais c'est de nous que nous rions désormais.

— Claude-Jean PHILIPPE

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Charlot - crédits : API/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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