COMÉDIE
La crise du XVIIIe siècle
Ainsi, au début du xviiie siècle, le prestige du théâtre est à son apogée dans toute l'Europe occidentale et particulièrement en France. L'art dramatique fait désormais partie de la culture officielle et de la vie de société, laquelle commence à constituer un monde clos sur lui-même et qui se mire dans son passé. Si les Comédiens- Italiens, chassés de France par Louis XIV, ont laissé la place à un théâtre de foire plein de vie, la comédie improvisée, la farce et toutes les formes dramatiques populaires sont condamnées à terme par l'évolution de la civilisation ; lorsqu'ils reviendront à Paris, les Italiens seront rapidement obligés de se conformer au goût du jour et ils ne retrouveront leur lustre qu'en jouant du théâtre d'auteur, comme celui de Marivaux. Quant au répertoire de la foire, il se mue en opéra-comique, avant de connaître son dernier avatar après la Révolution sous les dehors du vaudeville. Face à cette dégénérescence du théâtre comique non littéraire, on voit se conjuguer les intellectuels, les auteurs et le public cultivé pour imposer le respect des normes de la dramaturgie classique. La Comédie-Française devient, malgré son jeune âge, une véritable institution qui s'érige en gardienne de la tradition avec un sens très vif de sa dignité.
Même évolution partout en Europe. Contestée en Italie au nom de l'art, la commedia dell'arte vit ses derniers beaux jours : Goldoni veut, conformément à la leçon de Molière, donner à la comédie de son pays un statut littéraire, et il y réussit admirablement, comme la postérité s'en apercevra ; son rival Gozzi mène un combat d'arrière-garde, sans s'en aviser, en plaidant pour l'improvisation et en se proposant de réintroduire le merveilleux sur la scène avec son théâtre « fiabesque ». En Angleterre, après Congreve, Farquhar et John Gay, c'est le bel esprit ou le conformisme moralisant qui règnent ; la comédie donnera un ultime feu de paille dans le dernier tiers du siècle, avec Sheridan et Goldsmith. En Espagne, en Russie, en Allemagne, tout le monde se met à l'école du classicisme français.
Mais, les années passant, force est bien de s'apercevoir que cet engouement général, à quoi contribue une production exceptionnellement abondante, masque en réalité une profonde sclérose des genres transmis par le classicisme : le théâtre s'est anémié en devenant littéraire et en s'accrochant à une tradition artificielle et demeurant mal interprétée. De cette évolution souterraine, la tragédie est la première victime. La comédie, quant à elle, se ramifie à l'extrême pour explorer toutes les voies ouvertes par Molière ou tâtonner sur des chemins nouveaux. C'est la comédie de mœurs qui se répand le plus, ne donnant pour chef-d'œuvre que le seul Turcaret de Lesage, au début du siècle ; la comédie moralisante de Destouches, la comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée se succèdent pour pourvoir à l'édification du public. Seul Marivaux invente une forme originale de théâtre, en conformité profonde avec l'évolution de la culture et de la sensibilité : il fait du langage le lieu même de l'action dramatique et donne un sens nouveau à la notion de représentation, qui devient un jeu de miroirs se répercutant et se modifiant l'un l'autre. Mais c'est à contre-courant que naît ce style moderne de comédie, qui use tour à tour des ressources de l'apologue, de l'allégorie, des schémas de la commedia dell'arte, des conventions dramatiques à la française : en avance sur son temps, qu'il exprime pourtant avec une infinie subtilité dans ses divers registres, Marivaux est rejeté par les défenseurs du classicisme.
Pour dresser le constat de la crise larvée du théâtre, il faut attendre Diderot,[...]
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Écrit par
- Robert ABIRACHED : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
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