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COMETTI JEAN-PIERRE (1944-2016)

Né à Marseille le 22 mai 1944, fils d’émigrés italiens, Jean-Pierre Cometti a d’abord été un guitariste de jazz. Il entreprend assez tardivement des études de philosophie, avant d’enseigner dans des lycées, en France, notamment à Millau, et surtout à l’étranger, au Maroc, en Allemagne et à La Haye. En 1992, il intègre l’enseignement supérieur à l’université d’Aix-Marseille où il enseigne l’esthétique jusqu’à sa retraite en 2007. Ses anciens élèves gardent le souvenir d’un esprit ouvert, hostile à tout dogmatisme, qui préférait mettre en avant ses doutes et ses explorations plutôt que de transmettre des certitudes.

Au vu de l’ampleur de sa bibliographie, il est paradoxal que son premier contact avec l’écriture semble presque fortuit, à travers la médiation de Marie-Louise Roth qui lui fait découvrir l’œuvre encore peu connue de Robert Musil. Quatre livres seront consacrés à cet écrivain, tant au romancier (1985 et 1986) qu’à l’essayiste (1997 et 2002), sans compter la nouvelle édition française de L’Homme sans qualités qui réévalue les perspectives de la seconde partie, restée inachevée (2003).

La référence philosophique majeure est toutefois celle de Ludwig Wittgenstein, auquel Jean-Pierre Cometti a consacré deux essais importants (Philosopher avec Wittgenstein, 1996 et 2001, et Ludwig Wittgenstein et la philosophie de la psychologie, 2004), d’innombrables articles et contributions et dont il a traduit plusieurs inédits. L’analyse de Cometti n’est pas centrée sur le Tractatus logico-philosophicus mais sur la pensée, plus tardive, des Recherches, qui s’est développée autour des jeux de langage, avec leurs corollaires : les ressemblances de famille, les formes de vie, les aspects et les usages. Il en retient le désaveu d’une théorie unitaire au profit d’approches descriptives plus sensibles aux différences, variations et écarts qu’à des principes de construction, tant en ce qui concerne le langage que l’esprit, et en relation à des contextes sociaux d’action. Il en découle une préférence raisonnée pour ce qu’il se plaisait à nommer des « ontologies friables », toujours instables et révisables, ainsi qu’en tout domaine une attention aux modes d’emploi, favorisant « un rapport au monde désencombré des conventions et attributs superflus » et plaidant pour un « art sans qualités ».

Cette inspiration hostile aux dualismes et à la conception normative des règles va pousser Jean-Pierre Cometti à se réclamer de plus en plus explicitement du pragmatisme américain, moins celui de Charles S. Peirce et William James que celui deJohn Dewey, penseur de l’expérience et de la communauté, dont il a entrepris une édition française des textes les plus marquants. Il en a donné plusieurs présentations générales, dont Qu’est-ce que le pragmatisme? (2010) et La Démocratie radicale (2016). Mais, comme pour Wittgenstein, la réalité de l’influence se lit moins dans les commentaires que dans l’adoption d’un style de pensée lisible à travers la diversité des sujets abordés. C’est par excellence le cas dans les multiples textes consacrés à l’art et aux questions esthétiques qui constituent à la fois une thématique privilégiée et un centre secret de gravité. Il convient à cet égard de mentionner la trilogie formée par La Force d’un malentendu (2009), Art et facteurs d’art (2012) et La Nouvelle Aura (2016), qui propose une lecture fine de l’art contemporain confronté aux transformations de la culture, de la mode et du marché. Un essai consacré aux paradoxes de sa gestion institutionnelle (Conserver/restaurer, 2016) parachève cet ensemble. Son regard complice n’a d’ailleurs jamais manqué aux jeunes artistes, qu’ils soient poètes, musiciens ou plasticiens.

Un autre versant fondamental du travail de Jean-Pierre Cometti réside dans les nombreuses traductions qu’il[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie, université d'Aix-Marseille

Classification

Autres références

  • L'HOMME SANS QUALITÉS (R. Musil - trad. 2004)

    • Écrit par
    • 1 040 mots

    Voici comment Robert Musil décrit le « sens du possible », qui anime tout le projet de L'Homme sans qualités : « L'homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s'est produit, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire...

  • LA VOIX DE L'ÂME ET LES CHEMINS DE L'ESPRIT (J. Bouveresse) et MUSIL PHILOSOPHE (J.-P. Cometti)

    • Écrit par
    • 987 mots

    Peut-être ne faut-il pas dissimuler davantage son désarroi : si L'Homme sans qualités est toujours cité comme l'un des sommets de la littérature du xxe siècle, on peut se demander qui lit encore Musil en France, qui entretient un authentique commerce avec l'œuvre. Raison de plus pour...