COMMUNICATION Communication de masse
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Les « effets »
Les études portant sur la dimension culturelle de la communication montrent la complexité des relations entre le message et les autres éléments du processus de la communication. C'est ce que confirme l'analyse des « effets » de la communication de masse.
Selon J. T. Klapper (1960), « la communication de masse n'agit pas normalement comme une cause nécessaire et suffisante d'effets sur l'audience, mais plutôt fonctionne au sein et par l'intermédiaire d'un réseau d'influences et de facteurs médiats ». Autrement dit, il n'est pas possible, en dehors de quelques situations exceptionnelles, de rapprocher terme à terme des données concernant le message ou le medium et des données d'ordre sociologique, comme dans le cas des traits du comportement de l'audience, et de les considérer comme liées par une relation de causalité. Effectivement, la fusion des mass media avec l'ensemble socio-culturel dans lequel ils s'intègrent est telle qu'il ne paraît guère possible d'isoler des relations de cause à effet, si ce n'est peut-être dans le domaine des « campagnes » (E. Katz et P. F. Lazarsfeld, 1955), c'est-à-dire de tentatives, bien délimitées dans le temps, pour modifier l'attitude ou le comportement du destinataire de la communication.
À l'évidence populaire des profonds bouleversements accomplis par les mass media, et spécialement par la télévision, la sociologie paraît donc n'apporter aucune confirmation précise. Elle ne voit guère dans les mass media qu'un « facteur de renforcement des conditions existantes » (J. T. Klapper). Ainsi, par une sorte de paradoxe, vigoureusement exploité par McLuhan, un des traits les plus manifestes de la modernité, la communication de masse, paraît se résoudre en une simple tendance à la conservation.
Sans doute faudrait-il abandonner la notion d'« effet » au profit d'approches mettant au premier plan la signification des messages aux yeux des acteurs qui les utilisent, et d'où découle éventuellement leur comportement. Cette signification paraît cependant varier fondamentalement selon que l'on considère les messages qui sont expressément destinés à modifier le comportement du destinataire (et en particulier, pour ce qui concerne les mass media, la communication « persuasive »), et les autres types de messages.
Communication « persuasive » et « two-step flow »
Les études des campagnes éducatives, politiques, publicitaires ou autres, entreprises par le canal des mass media, ont mis en lumière les difficultés qu'il y a à transformer par cette voie les attitudes et les comportements du public. Ainsi, la sociologie des mass media a conclu au rejet des théories pessimistes, à la mode aux environs de la Seconde Guerre mondiale, selon lesquelles les mass media donneraient à ceux qui les contrôlent le pouvoir de « manipuler » à leur gré le public.
Divers phénomènes de sélectivité, portant aussi bien sur le choix des messages que sur leur perception ou la manière dont ils sont retenus, font que les individus et les groupes qui constituent le public écartent, en fait, les contenus en désaccord manifeste avec les valeurs et les normes qui sont les leurs. Les expériences de laboratoire confirment sur ce point les enquêtes entreprises sur le terrain : on a pu montrer par exemple l'inefficacité totale de certaines campagnes de type « éducatif » entreprises par l'intermédiaire des mass media.
Les résultats les plus marquants, toutefois, sont ceux qui ont été établis par les équipes du Bureau of Applied Social Research de l'université Columbia (New York), animées en particulier par Lazarsfeld, et d'où il ressort que l' influence des mass media n'est normalement effective que lorsqu'elle est prise en relais par les réseaux de communication et d'influence personnelle existant au sein des groupes primaires (famille, petits groupes d'amis ou de collègues). Les contacts au sein de ces groupes paraissent avoir sensiblement plus d'influence que les mass media, par exemple à l'égard des intentions de vote ; et, dans la mesure où les mass media exercent une influence, celle-ci requiert l'intermédiaire d'individus, les « leaders d'opinion », qui en sont à la fois les agents de transmission et les interprètes.
Or, ces leaders d'opinion sont plus gros consommateurs de mass media que ceux sur lesquels ils ont une influence, au moins dans le domaine au sein duquel s'exerce cette dernière. D'où la thèse d'un two-step flow, d'un flux à deux paliers de la communication, et, en particulier, de l'influence qui s'exercerait d'abord des mass media sur les leaders d'opinion, puis de ceux-ci vers ceux qu'ils influencent. Cette thèse, d'abord énoncée à propos du domaine de l'action politique et des choix électoraux (cf. The People's Choice, de Lazarsfeld, Berelson & Gaudet), a par la suite été testée avec succès dans divers autres domaines (cf. Personal Influence de Katz et de Lazarsfeld).
Ces découvertes ont, de toute évidence, une portée considérable. Elles tendent, en effet, à placer l'influence des mass media sous la dépendance de phénomènes d'un autre ordre, et en particulier de l'interaction au sein des petits groupes. Elles montrent, d'autre part, combien sont rapides les vues maintes fois exposées, selon lesquelles les groupes primaires tendent à perdre toute consistance au sein de la société industrielle avancée. Elles expliquent que les mass media ne soient un facteur efficace de changement social que dans un nombre restreint de situations.
Si, normalement, des innovations ou des changements qui ne sont proposés que par les seuls mass media se heurtent à la résistance des groupes primaires, et donc du public, dans certains cas ces innovations peuvent correspondre à une attente jusqu'alors informulée et être accueillies favorablement par les réseaux d'influence et de communication existant au sein des groupes primaires. Les moyens de communication de masse peuvent d'autre part jouer un rôle efficace dans la création, ou plutôt dans la structuration des opinions sur des thèmes dont ils sont les premiers à informer le public.
Autres types d'« effets »
On a couramment attribué aux mass media, et en particulier aux fictions qu'ils contiennent, toutes sortes d'effets négatifs, spécialement sur les enfants et les adolescents. Ces imputations ne sont pas étrangères aux dispositions de censure ou de protection légale qui ont été instaurées dans la plupart des pays à l'égard du cinéma et de la presse enfantine. Il est à noter que les formulations adoptées par ceux qui ont allégué de semblables effets rendent difficile la distinction entre les imputations d'effets précis (par exemple, « la télévision entraîne une baisse de la qualité du travail scolaire », ou « le cinéma contribue au développement de la délinquance juvénile ») et les simples jugements négatifs à l'égard du contenu de la communication de masse (contenu jugé « violent », « superficiel », « puéril », « favorisant l'évasion » ou « la passivité », etc.).
La recherche s'est néanmoins efforcée de tester, par des méthodes empiriques (études cliniques, enquêtes en laboratoire, exploitation statistique de données diverses et surtout de questionnaires), les « effets » attribués aux mass media. Les potentialités pédagogiques des médias audio-visuels et leurs effets sur les modalités d'apprentissage ont fait par ailleurs l'objet de très nombreuses recherches, mais qui dépassent le cadre de la communication de masse proprement dite (par exemple celles de G. Salomon, 1979).
Le problème le mieux étudié, sans doute parce qu'il a suscité des inquiétudes particulièrement vives, est celui de l'effet des scènes de violence sur les enfants et sur les adolescents. En dehors du fait avéré que certains types de scènes sont propres à terrifier les très jeunes enfants, la possibilité d'effets fâcheux d'une trop grande répétition de scènes de meurtres ou de violence paraît se situer au-delà de toute vérification empirique. Aucune relation directe de cause à effet n'a pu être établie entre la consommation de scènes de violence et la délinquance. Certes, les enfants en situation psychologique ou sociale difficile (frustration, manque de camarades, délinquance) sont parfois de plus gros consommateurs de fiction, et en particulier de violence, que les autres jeunes du même âge, mais on ne peut tenir pour généralement démontré que cette consommation ait un effet favorable ou défavorable quant à la résolution de leurs conflits (L. Bogart, 1956, L. Bailyn, 1959). D'autre part, les enfants paraissent beaucoup plus sensibles à un climat d'angoisse, d'épouvante, de culpabilité, ou même simplement d'incertitude, qu'à la violence elle-même (H. T. Himmelweit, A. Oppenheim et P. Vince, 1958). D'une façon générale, l'étude des effets des scènes de violence fait ressortir la nécessité d'une interprétation symbolique de ces scènes, la violence dans les mass media ne pouvant être considérée comme une donnée brute dont les effets seraient mécaniques et cumulatifs.
De même, il ne paraît pas possible d'établir que la consommation de mass media favorise la passivité ou l'évasion, pour autant que l'on s'efforce de donner à ces termes un sens précis, comme y invitent les procédures de vérification empirique.
Ces difficultés rencontrées dans l'étude des « effets » ont conduit la recherche à reformuler ses objectifs : plutôt que de s'efforcer d'établir des relations de causalité, mieux vaut étudier les fonctions remplies par les mass media ou, selon une heureuse formule, « l'usage et la gratification » qui leur sont liés. On cherchera, dans cette perspective, à étudier la manière dont le public utilise les moyens de communication de masse, plutôt que les effets sur lui de ces moyens (E. Katz, 1959, W. Schramm, J. Lyle et E. Parker, 1961).
Parmi les fonctions remplies par la culture de masse (escapist material, ou moyens d'évasion), Klapper mentionne : la relaxation mentale et psychologique, la stimulation de l'imagination, la fourniture d'une interaction de substitution et d'un terrain commun pour les échanges sociaux. Par ailleurs, cet auteur fait état de fonctions complexes telles que soulagement émotionnel ou fourniture de conseils pratiques, utilisables dans la vie réelle : on retrouve ici l'opposition, d'origine aristotélicienne, de la catharsiset de la mimèsis, également reprise par Morin (1962), mais comme opposition de deux types de « participation imaginaire » : la projection et l'identification. Ici encore, l'analyse des « effets » débouche donc sur une anthropologie de la communication de masse.
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Écrit par
- Olivier BURGELIN : maître assistant à l'École des hautes études en sciences sociales
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Média
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