COMMUNICATION
Une théorie mathématique de la communication
Pendant la Seconde Guerre mondiale, nombre d'équipes de recherches civiles se constituent aux États-Unis autour de thématiques précises. C'est ainsi qu'un groupe de chercheurs se rassemble au Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) autour de Claude Shannon, un spécialiste des théories mathématiques de l'information, pour repenser la transmission télégraphique. Le télégraphe est en effet fondamental en temps de guerre. Le problème, c'est que le message envoyé n'est jamais entièrement restitué ; il y a toujours une perte d'information – qui peut se révéler fatale à une unité ayant demandé de l'aide. L'équipe de Shannon va modéliser le processus télégraphique, avec force équations et schémas. Si l'on pose a priori que tout système, mécanique ou vivant, tend vers l'« entropie », c'est-à-dire vers la disparition totale de toute circulation d'information, on peut proposer que tout ce qui permet à un système de contrer l'entropie relève de l'information. L'information est tout ce qui contribue à maintenir un système en activité, ou tout ce qui contribue à faire en sorte que ce qui se trouve en A se retrouve en B, et dans le cas du télégraphe, un message émis par le télégraphiste A se retrouve sur la machine du télégraphiste B.
Après la guerre, Shannon retourne à ses recherches au sein des laboratoires de la Bell Telephone Company. Il écrit trois articles très techniques dans une revue interne, le Bell System Technical Journal, que le patron de l'entreprise, Chester Barnard, trouve « redoutablement mathématiques ». Il demande à un de ses ingénieurs, Warren Weaver, de reprendre ces articles et de les rendre accessibles à un public plus large. C'est ainsi qu'en 1949 paraît la Théorie mathématique de la communication sous la double plume de Shannon et Weaver. À la grande surprise de tous, les ventes décollent. Le succès est dû à l'introduction écrite par Weaver, qui généralise la théorie de Shannon : « Le mot communication sera utilisé ici dans un sens très large incluant tous les procédés par lesquels un esprit peut en influencer un autre. Cela, bien sûr, comprend non seulement le langage écrit ou parlé, mais aussi la musique, les arts plastiques, le théâtre, la danse et, en fait, tout comportement humain. » Le livre s'ouvre sur un « modèle de la communication » fait de cinq boîtes et de cinq flèches (source d'information – émetteur – source de bruit – récepteur – destination), qui n'était au départ destiné qu'à représenter des « systèmes de communication » de messages discrets, mais que Weaver a généralisé à tout système, mécanique, vivant ou symbolique. On voit ainsi comment s'opère, subrepticement, non seulement le glissement de la transmission à la communication mais aussi le passage du particulier au général par le relais d'une mathématisation universalisante.
Dès le début des années 1950, le modèle de la communication de Shannon et Weaver va connaître un énorme succès en psychologie sociale expérimentale, en sociologie des organisations, en linguistique et en anthropologie. Par exemple, dans Anthropologie structurale, Claude Lévi-Strauss parlera de la « communication » des messages, des femmes et des biens, et verra dans la notion de communication « un concept unificateur grâce auquel on pourra consolider en une seule discipline des recherches considérées comme très différentes ». Roman Jakobson utilisera abondamment les termes shannoniens « code », « encodage » et « décodage » dans sa communication au congrès des anthropologues et des linguistes de 1952 à l'université d'Indiana et les injectera dans son schéma des six fonctions du langage. Comme l'évoquera en 1964 le philosophe[...]
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Écrit par
- Yves WINKIN : professeur des Universités, École normale supérieure de lettres et sciences humaines, Lyon
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