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COMMUNISME Mouvement communiste et question nationale

C'est en Europe centrale que le problème national s'est posé avec le plus d'acuité au mouvement ouvrier et marxiste au xixe et au début du xxe siècle. S'il est au centre des débats à l'issue de la révolution de 1905, qui fut le théâtre privilégié du soulèvement national dans l'Empire du tsar, le problème national est toutefois relativement peu théorisé par les grandes figures du marxisme russe et européen. Le problème national ne leur paraît pas déterminant dans le processus révolutionnaire, même s'il est parfois l'élément central de la stratégie révolutionnaire des partis ouvriers. Ainsi Lénine concédait-il à la décharge de l' internationalisme farouche de Rosa Luxemburg, hostile à l'autodétermination de la Pologne, qu'il lui semblait « tout naturel que la lutte contre la petite bourgeoisie polonaise aveuglée par le nationalisme ait contraint les sociaux-démocrates polonais à forcer la note avec un zèle particulier ». Pour le marxisme, le problème national est donc plus instrumental que fondamental, l'avènement du socialisme étant de nature à lui donner une solution définitive. Cette distinction de principe fonde l'ambiguïté apparente des bolcheviks et des communistes après leur accession au pouvoir : ils font du problème national un instrument privilégié de la consolidation de leur autorité tout en le proclamant définitivement résolu par l'établissement des régimes socialistes. Dans les années 1980 toutefois, les autorités soviétiques et est-européennes reconnaissaient la persistance, voire l'aggravation du problème national dans les pays socialistes et examinaient à nouveau les fondements de leur politique et de l'organisation de l'État dans ce domaine.

L'ère des débats théoriques

Au tournant du siècle, comme le constate Otto Bauer en 1907, « dans tous les États du centre-Europe, la position du parti ouvrier social-démocrate envers les questions nationales se situe au centre des débats » et c'est alors seulement que le marxisme élabore une théorie de la nation et de son rôle dans le processus révolutionnaire. Mais ces débats sont alors indissociablement théoriques et pratiques : l'exacerbation des revendications nationales en Pologne, dans l'Empire austro-hongrois et dans l'Empire du tsar impose au mouvement ouvrier d'inscrire le problème national dans sa stratégie révolutionnaire, et l'absence de théorisation du problème dans l'œuvre de Marx le contraint à faire œuvre créative.

Nation et nationalité

Marx et Engels n'ont pas théorisé le problème national et ne lui ont consacré que des écrits de circonstance, si bien que le concept même de nation est dans leur œuvre empreint d'une ambiguïté fondamentale : « On a, en outre, reproché aux communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les travailleurs n'ont pas de patrie. On ne peut leur retirer ce qu'ils n'ont pas », lit-on dans Le Manifeste. Marx poursuit dans L'Idéologie allemande : « La nationalité du travailleur n'est pas française, anglaise, allemande. Elle est le travail, le libre-échange, le trafic de soi-même. Son gouvernement n'est pas français, anglais, allemand, c'est le capital. » Mais, tout en affirmant l'internationalisme ontologique du prolétariat, Marx dénonce son aliénation à l'égard de la nation et l'invite à se l'approprier : « Le prolétariat doit [...] se constituer lui-même en tant que nation. Par cet acte, il est encore sans doute national, mais nullement au sens de la bourgeoisie. » La nation, dont le rôle historique est tenu pour fondamental, n'est nullement condamnée par la révolution communiste. La satisfaction des aspirations nationales est au contraire une condition indispensable au triomphe de l'internationalisme prolétarien : « Sans l'[...]

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Écrit par

  • : chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques

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Médias

Congrès des peuples d'Orient (Bakou, 1920) - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Congrès des peuples d'Orient (Bakou, 1920)

Anastassi Ivanovitch Mikoyan et John F. Kennedy, 1962 - crédits : Keystone-France\Gamma-Rapho/ Getty Images

Anastassi Ivanovitch Mikoyan et John F. Kennedy, 1962

L'Arménie, République socialiste soviétique - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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