COMMUNISMES RELIGIEUX
Le terme « communisme » n'ayant été forgé que tardivement en France, vers les années 1840, c'est rétrospectivement qu'on a conféré l'appellation « communisme religieux » à une série de phénomènes qui se sont présentés sous d'autres noms, mais qui se trouvent avoir été groupés en raison du trait qui les caractérise tous : la vie et le travail en commun, dans un régime de propriété commune des biens.
Si cette communauté de vie et de travail distingue le « communisme » ainsi pratiqué, son caractère « religieux » relève de modèles divers. La plupart du temps, il s'agit d'une ressemblance entre ces expériences et l'expérience de la vie religieuse cénobitique. Étienne Cabet, dans son Voyage en Icarie, fait de cette ressemblance l'origine de la vocation de son héros, Icar le charretier : « Ce fut en conduisant sa voiture dans un vaste monastère qu'il eut la première pensée que tous les habitants d'un pays pourraient travailler et vivre en commun. »
Mais cette parenté initiale ne saurait dissimuler trois différences majeures.
D'une part, au rebours des monastères, communautés d'hommes ou de femmes célibataires, il s'agit de communautés mixtes réunissant hommes et femmes dans un régime de chasteté conjugale, dans un régime familial ordinaire ou dans un régime d'amour libre.
D'autre part, cette religion n'entend pas seulement animer une microsociété en modèle réduit ou exceptionnelle, mais elle prétend envahir, dominer et organiser la société tout entière. Il s'agit alors non plus de petits royaumes de Dieu à loger comme des projets marginaux dans les interstices d'une société globale, mais d'une transformation de l'ensemble de la société en un royaume de Dieu, devenu communautaire, « communioniste » ou communiste.
À ces deux premières distinctions s'en ajoute enfin souvent une troisième : alors que, dans les expériences cénobitiques, l'économie fut généralement fondée sur mécénats, aumônes, dotations, les projets communistes religieux conçoivent le travail, et le travail collectif, à la fois comme base et comme critère de leur sociétariat ; souvent ce travail en commun sera même retenu comme l'essentiel du culte offert et demandé par une telle religiosité.
Dans les sociétés « primitives »
Bien que son extension et son contenu aient donné lieu à maintes controverses, l'existence d'un état social antérieur à l'appropriation des biens et à la division du travail a été souvent évoquée et circonstanciée. À cette indifférenciation économique devait correspondre une indifférenciation culturelle, la religion formant un tout indissociable des péripéties de la vie quotidienne. De telles sociétés se seraient donc présentées avec ces deux caractères conjoints : communistes, puisque propriété et travail se réalisaient en commun ; religieuses, parce que ce régime de communauté se trouvait soutenu par les croyances et les rites d'une religion commune, contraignante et rigoureusement vécue. Émile Durkheim relèvera cette connexion dans le cas des sociétés antérieures à la division du travail et fondées sur la similitude des consciences et le droit répressif. « La similitude des consciences donne naissance à des règles juridiques qui, sous la menace de mesures répressives, imposent à tout le monde des croyances et des pratiques uniformes ; plus elle est prononcée, plus la vie sociale se confond complètement avec la vie religieuse, plus les institutions économiques sont voisines du communisme » (Division du travail).
Les expériences ultérieures de communisme religieux se référeront à ce passé social primitif soit pour le constituer en âge d'or, soit pour y apercevoir une institution édénique et, dans les deux cas, pour l'opposer aux régimes fondés sur la[...]
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Écrit par
- Henri DESROCHE : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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