COMMUNISMES RELIGIEUX
Communisme et utopies pratiquées
L'âge de l'utopie date de ce début du xvie siècle où Thomas More la porta sur les fonts baptismaux avec sa célèbre Utopia. Dans la tradition utopique ainsi inaugurée, il semble qu'on doive discerner deux courants : le courant de l'utopie écrite et le courant de l'utopie pratiquée. Les deux courants, d'ailleurs, s'entrecroisent et même Thomas More, auteur type de l'utopie écrite, n'est pas sans avoir inspiré des expériences pratiques à un évêque mexicain. Vasco de Quiroga, en quête d'un modèle social pour les villages de regroupement où il espérait mettre ses Indiens à l'abri du christianisme des colons espagnols.
Le même dessein fut poursuivi, on le sait, par la spectaculaire expérience des pères jésuites auprès des Indiens Guaranis, dans leurs réductions au Paraguay. Le communisme religieux de ces missiologies se nourrit, là aussi, d'une espérance en un retour aux sources et d'un projet de retrouver le christianisme primitif par-delà et contre les acculturations ecclésiastiques européennes. Le franciscain Jérôme de Mendieta (1525-1604), se référant à Joachim de Flore, fera la théorie théologique de cette contre-acculturation.
Mais c'est dans le champ du protestantisme dissident, plutôt que dans celui du catholicisme missionnaire, que le communisme religieux se manifestera avec une particulière effervescence.
La révolution anglaise du xviie siècle lui offre une occasion de fleurir. Les levellers (niveleurs) représentent son expression militante et militaire. Après leur liquidation par Cromwell, l'expression pacifiste s'exprime dans les théories de G. Winstanley, puis dans la pratique de ses diggers procédant à l'occupation des terres vacantes pour les détenir et les exploiter en commun. À la même période, un mennonite hollandais, Peter Plockhoy, élaborera lui aussi sa théorie religieuse d'une petite république coopérative et ira l'expérimenter dans le Nouveau Monde.
Il se trouve être ainsi le premier en date de ces communistes religieux quittant pays et cieux européens pour aller expérimenter outre-Océan cieux nouveaux et terres nouvelles ; dans leurs schémas variés se trouve reproduite une constante de leurs projets : réaliser les cieux sur terre (Heavens on Earth). Et cela par la pratique du communisme : propriété commune, production en commun, consommation en commun, culte commun, nouveaux types de relations entre l'homme et la femme (du monachisme mixte au mariage plural), attente commune d'un équivalent du troisième âge. Ainsi se succèdent : labadistes, kelpiens, Ephrata, Paradise, Bethléem, shakers, Jérusalem, rappites, zoarites, etc. Les études récentes montrent que cet ensemble constitue une source non seulement du socialisme utopique mais, à travers et au-delà de celui-ci, du communisme européen au xixe siècle.
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Écrit par
- Henri DESROCHE : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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