COMMUNISMES RELIGIEUX
Communisme religieux et socialismes utopiques
L'Allemagne, au début du xixe siècle, connaît aussi une telle fermentation : « en dépit de toutes les persécutions, certaines sectes chrétiennes s'étaient maintenues en Allemagne [...] où elles enseignaient un communisme primitif conforme à l'esprit des premiers chrétiens »... (Menchen-Helfen et Nicolaïewski). W. Weitling, le fondateur, selon Karl Marx, du communisme européen, fut directement influencé par cette fermentation : son socialisme utopique et insurrectionnel finira par déboucher sur une expérience communautaire au Nouveau Monde : Communia. Robert Owen avait étudié et approché shakers et rappites et sa dernière communauté anglaise, Queenwood, était sinon religieuse du moins millénariste. Trait commun d'ailleurs de tout cet ensemble socialiste utopique ; s'il conteste la société dominante, il contestera conjointement la religion dominante, et cette double contestation le conduit à fomenter un royaume de Dieu, un « millénium » qui liquiderait l'organisation dominante de la politique, de l'économie et du culte, Saint-Simon, dans son Nouveau Christianisme, en appellera à la réalisation de l'époque « messiaque » identifiée par lui à l'application d'un principe « qui appartient au christianisme primitif ». Babeuf lui-même avait exalté son projet : « C'est là et là seulement la seule réédification de Jérusalem. » Fourier se présente comme « prophète postcurseur » et le fouriérisme américain, dans ses nombreuses expériences de phalanges, s'unit avec le christianisme « unitarien », puis « transcendantaliste ». Cabet voit dans le communisme le « vrai christianisme ». Moses Hess, maître en communisme de Marx et Engels, apercevait ce communisme, au débouché d'une Histoire sainte de l'humanité (1837), au terme de laquelle « la nouvelle Jérusalem sera fondée au cœur de l'Europe »...
Dans l'ensemble des écrits comme dans l'ensemble des réalisations, les socialismes utopiques apparaissent ainsi comme des communismes religieux : ils entendent amorcer une deuxième Réforme, réforme sociale et prolétarienne capable d'accomplir en la dépassant la Réforme religieuse et bourgeoise du protestantisme. Cette deuxième Réforme apparaît en même temps, ici ou là, comme le troisième âge annoncé par les prophétismes socialisants médiévaux.
Le binôme communisme-religion ne termine pas sa carrière avec le xixe siècle. Des expériences (comme celle de New Llano aux États-Unis) ont été tentées pour incorporer cette tradition à un néo-marxisme. Des syncrétismes entre le communisme et la religion ont été périodiquement réintroduits et sont encore perpétuellement amorcés. La contamination du communisme politique par une cryptoreligion culturelle peut donner naissance aux cultes de la personnalité (ou de l'impersonnalité), à la transformation du parti en Église et de l'opposition en hérésie, comme l'avait redouté Marx (circulaire contre Kriege). Inversement, l'imprégnation d'une religion traditionnelle par le communisme moderne peut conduire des aggiornamentos aux modernités inattendues, sous la forme de christianismes pararévolutionnaires ou révolutionnaires. D'où les paradoxes de l'histoire énoncés par Fidel Castro au Congrès culturel de La Havane en janvier 1968 : « Ce sont les paradoxes de l'histoire. Comment, quand nous voyons des secteurs du clergé devenir des forces révolutionnaires, allons-nous nous résigner à voir des secteurs du marxisme devenir des forces ecclésiastiques ? »
Ces paradoxes sont d'ailleurs particulièrement accusés du fait que, selon la terminologie même du communisme, le stade « communiste » de la société n'est nulle part atteint : or ce stade « communiste » correspondrait à une macro-société dont les[...]
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Écrit par
- Henri DESROCHE : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Autres références
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