- 1. Les communs, « tragédie » ou système de préservation des ressources ?
- 2. Des biens rivaux, exclusifs et gérés selon des règles collectives
- 3. Droits fondamentaux et accès aux biens communs
- 4. Coopératives, gestion en commun et transformation sociale
- 5. Appropriation et usage de la terre : le tropisme foncier des communs
- 6. Communs numériques et communs de la connaissance
- 7. Conclusion
- 8. Bibliographie
COMMUNS
Des biens rivaux, exclusifs et gérés selon des règles collectives
La définition des communs selon la perspective institutionnelle d’Ostrom, fondée sur ces distinctions, est partagée par de nombreux théoriciens.
La première distinction concerne les caractéristiques des biens ou des ressources, notamment selon leur degré de rivalité et d’exclusion. Dès les années 1950, une classification des biens économiques est proposée par Paul Samuelsonselon leur caractère exclusif ou non : ils peuvent être réservés à quelques-uns ou au contraire accessibles à tous (gratuitement ou non). Cette classification est enrichie dans les années 1980, donc avant l’apparition des biens numériques, en intégrant le degré de rivalité des biens, qui détermine dans quelle mesure un bien peut être utilisé par un grand nombre de personnes sans en réduire la quantité disponible pour les autres.
La seconde distinction concerne la propriété des biens. Un même type de bien peut en fait relever de différents régimes de propriété – privé, public ou commun. La propriété commune ne signifie pas l’accès libre, elle peut intégrer des règles d’usage contraignantes qui permettent de gérer une ressource tout en évitant le gaspillage. Cette mise en évidence de la diversité des droits inclus dans une propriété reprend la conception civile de la propriété héritée du droit romain et résumée dans le triptyque usus, fructus, abusus, où la propriété donne le droit d'user de la chose (usus), le droit de jouir de la chose (fructus), le droit de disposer de la chose (abusus).
La troisième distinction concerne la gouvernance des biens. En analysant la propriété comme « faisceau de droits » (bundle of rights), par exemple un droit d’accès, d’usage ou de gestion (en vue notamment de la préservation), Elinor Ostrom et Edella Schlager identifient des principes favorisant une gouvernance vertueuse des communs :
– une définition précise du groupe ayant accès à la ressource ;
– des règles d’appropriation, d’allocation et d'usage collectif, adaptées aux conditions locales et aux objectifs désirés ;
– la participation de la plupart des membres du collectif à la définition et à la modification des règles de fonctionnement de la ressource ;
– un dispositif de contrôle de la ressource assuré par les membres du collectif ou un organe de contrôle responsable devant eux ;
– un système de sanctions gradué pour ceux qui violent les règles établies, mis en œuvre par les membres du collectif ou par un organe de contrôle responsable devant eux ;
– un dispositif de règlement de conflits peu coûteux (entre les membres ou entre ceux-ci et l’organe de gouvernance responsable devant eux) ;
– une reconnaissance par les pouvoirs publics du droit du collectif à s’auto-organiser et à définir ses propres règles ;
– si les différentes ressources sont intégrées dans un système plus large, une gouvernance organisée dans un système à plusieurs niveaux d’entreprises « emboîtées » avec à la base des ressources locales de taille réduite.
Ces principes ont l’avantage de reconnaître une diversité de formes de gouvernance, tout en donnant des orientations pour préserver les ressources. En revanche, certains éléments comme la répartition du pouvoir au sein du collectif, la diversité des situations socio-économiques de ses membres, ou la nature des liens entre le commun et son environnement économique, social et politique ne sont pas approfondis, alors que c’est le cas chez d’autres théoriciens.
D’après le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval, un commun est d’abord « un espace institutionnel délimité par des règles établies collectivement ». Leur position se distingue ici de celle d’Ostrom, restée en partie fidèle, dans sa définition des communs, à la classification des biens en économie politique.[...]
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Écrit par
- Cécile EZVAN : docteure en philosophie, diplômée de l'École supérieure de commerce de Paris, chercheuse associée à l'ESCP Business School (chaire économie circulaire)
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