COMPAY SEGUNDO (1907-2003)
Jusqu'à la fin de sa vie, le pimpant séducteur de la musique cubaine affichera une insolente bonne humeur, lançant des œillades charmeuses à toute occasion, ajustant son panama blanc, tirant une bouffée de son cigare. Lorsqu'on lui demandait le secret de sa longévité, Máximo Francisco Repilado Muñoz, alias Compay Segundo, répondait d'un air coquin « le rhum, les cigares et les femmes », mais ajoutait aussitôt « le tout avec modération ». Son formidable goût de vivre ne l'aura quitté que quatre mois avant son quatre-vingts seizième anniversaire, dans la nuit du 13 au 14 juillet 2003, à La Havane.
Cet enfant d'un cheminot andalou et d'une créole, né en 1907 et élevé par sa grand-mère, une ancienne esclave noire, était devenu rouleur de cigares dès l'âge de six ans. Il le restera jusqu'à sa retraite en 1970, tout en s'échappant de ce travail – payé à la tâche – dès qu'un concert se présentait. À quinze ans déjà, Compay Segundo écrivait son premier succès, Yo Vengo Aquí. Un an plus tard, cet adolescent surdoué inventait l'armonico à sept cordes, sorte d'hybride entre la guitare espagnole, pour les harmonies, et le petit tres (prononcer « tresse ») cubain, à trois doubles cordes, pour le rythme.
Lorsqu'il n'y avait pas de travail à Santiago de Cuba, la capitale de l'Oriente (région de l'est) où il habitait, il allait chez un ami propriétaire terrien qui lui offrait une parcelle à cultiver. Ces voyages dans le monte (la montagne) – où, à la fin du xixe siècle, est né le son (prononcer « sone ») paysan, d'une rencontre entre les guitares européennes et les percussions africaines – l'ont beaucoup inspiré et ont nourri la poésie champêtre de ses chansons.
Tout en apprenant le solfège avec une voisine, Compay Segundo fit ses débuts dans un estudiantina, précurseur de l'octet avec trompette, à une époque où le son, ancêtre de la salsa, n'avait pas encore adopté les cuivres. À vingt-deux ans, il effectuait son premier voyage à La Havane pour participer à un concours de bandas (fanfares), en tant que clarinettiste. Cinq ans plus tard, il s'installait dans la capitale, engagé par le fameux Cuban Stars de Ñico Saquito.
Par la suite, tout en continuant à rouler des cigares pour subsister, le sonero cubain a beaucoup chanté à la radio, puis a été embauché par l'illustre Trio Matamoros, qui lui a permis de rencontrer le sublime chanteur Beny Moré (1919-1963), père de la salsa moderne.
Devenu fonctionnaire, comme tous les musiciens de l'ère castriste, Compay Secundo vivra une sorte de traversée du désert tout en continuant à composer. Contrairement à ce que l'on croit souvent, il n'était pas vraiment un grand chanteur (d'où son pseudonyme de « compère second », hérité du temps où il n'était que « deuxième voix » au sein du duo Los Compadres). En revanche, il était un guitariste d'exception, et l'auteur-compositeur d'une centaine de chansons aux subtils entrelacs de voix et de cordes sur fond de guiro (grattoir) et de maracas (calebasses remplies de graines), dont le fameux Chan Chan, qui a fini par supplanter, dans les rues cubaines, le célébrissime hymne El Commandante Che Guevara.
Le succès du Buena Vista Social Club, auquel il participa, en 1997, aux côtés du chanteur Ibrahim Ferrer et du pianiste Rubén Gonzáles, fut le point culminant de la grande vogue des musiques cubaines de la fin du xxe siècle (intervenue après celle des années 1940 et celle des années 1970). Mais la véritable résurrection de Compay Segundo date de 1994, lorsque, invité à se produire en concert à Séville alors qu'il avait renoncé à la scène depuis une bonne trentaine d'années, il a rencontré la Française Claire Hénault, qui deviendra son agent et l'artisan de son succès international.[...]
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Écrit par
- Éliane AZOULAY
: journaliste à
Télérama
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