COMPÉTENCE, sociologie
La question de la compétence des citoyens ordinaires est, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une question à la fois classique et controversée en sociologie politique. À l’évidence, les recherches sur la compétence politique en démocratie ou encore sur « la sophistication idéologique » ou « politique » – pour reprendre les expressions utilisées fréquemment dans la littérature scientifique américaine – constituent un des noyaux durs autour desquels la science politique occidentale s’est constituée. Des noms classiques y sont désormais associés : Bernard Berelson, Philip Converse, Paul F. Lazarsfeld ou encore, dans le domaine francophone, Pierre Bourdieu ou Daniel Gaxie, pour ne retenir que quelques noms. En France, cette question est même à l’origine de disputes intellectuelles voire parfois de polémiques virulentes au sein des sciences sociales. On se souviendra ici notamment de la controverse qui opposa Pierre Bourdieu, Raymond Boudon ou encore Alain Lancelot, entre autres, à propos de la capacité (ou non) des citoyens à répondre de manière informée et structurée à un questionnaire d’enquête d’opinion par sondage. Si le premier (Bourdieu, 1973) estime que la majorité de ceux qui répondent à ce type d’enquête ne possède pas les compétences nécessaires pour produire une opinion « constituée », d’autres sociologues défendent une conception moins restrictive de la capacité à produire une opinion politique en démocratie. Parce qu’il renvoie in fine à notre rapport – socialement, mais aussi scientifiquement déterminé – à la démocratie représentative et aux croyances qui accompagnent ses réalisations historiques, ce débat mobilise le plus fréquemment des arguments empiriques, mais aussi normatifs, empruntés à l’actualité récente des démocraties occidentales. Souvent, son résultat est paradoxalement de mesurer surtout l’écart entre un citoyen idéalisé par la littérature politique et philosophique – citoyen capable, quelles que soient ses origines sociales et culturelles, de s’abstraire de ses pesanteurs pour produire une opinion politique informée et raisonnée – et le citoyen tel qu’il est, c’est-à-dire, le plus souvent largement « incompétent » et « indifférent » en matière politique.
Dès la publication de The American Voter (1960), considéré à juste titre comme un des ouvrages fondateurs de ce débat, les recherches sur la compétence politique peinent toutefois à mobiliser des perspectives et illustrations historiques. Dans cet ouvrage, les auteurs dessinent le portrait d’un électeur américain qui s’intéresse peu à la politique, qui est mal informé, dont les opinions politiques sont très peu structurées et faiblement conceptualisées, en résumé, un citoyen largement incompétent produisant un vote grâce à une identification partisane héritée de sa socialisation familiale. Se fondant sur les résultats d’enquêtes d’opinion par sondage relatives aux élections présidentielles américaines de 1952 et de 1956, l’approche psychosociologique de l’équipe de l’école du Michigan reste prisonnière de la « révolution béhavioriste » qui touche alors les sciences sociales américaines et conduit les chercheurs à dévaloriser la dimension historique des phénomènes étudiés pour mieux tenter de mesurer le niveau de compétence des électeurs et plus encore l’écart qui existe entre la minorité de ceux qui sont à même d’évaluer les candidats et les programmes en lice en fonction de critères spécifiquement politiques ou idéologiques et le reste, largement majoritaire, du corps électoral mobilisé. Une même occultation se retrouve dans la littérature française consacrée à cette question. Si l’ouvrage classique de Daniel Gaxie, Le Cens caché (1978), mobilise un certain nombre de références historiques pour dessiner le mouvement de professionnalisation[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Yves DÉLOYE : professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux
Classification
Autres références
-
DÉVELOPPEMENT, psychologie interculturelle
- Écrit par Henri LEHALLE
- 2 374 mots
L’âge de l’enfance est aussi celui de l’acquisition des compétences utiles à la communauté. Des recherches ont montré selon quelles modalités et selon quelles contraintes développementales les transmissions éducatives s’effectuent dans les sociétés traditionnelles. Par exemple, Patricia Greenfield... -
DÉVELOPPEMENT DU SOI
- Écrit par Delphine MARTINOT
- 1 045 mots
Le soi n’est pas présent à la naissance, mais se développe tout au long de la vie de l’individu, et plus particulièrement chez le jeune dans le cadre d’une interaction entre l’évolution des capacités cognitives personnelles et l’influence des agents de socialisation (parents, institution...
-
JEU
- Écrit par Henri LEHALLE
- 3 632 mots
...Piaget, commence par une étude sur les jeux de billes. Cela n’est pas surprenant car les jeux entre pairs suscitent l’acquisition et la différenciation de compétences sociales. De fait, quand on est enfant, les normes du groupe sont plus facilement appréhendées et gérées dans le cas des groupes de pairs que... -
MÉTACOGNITION
- Écrit par Joëlle PROUST
- 1 932 mots
...l'homme la métacognition procédurale. Ce n'est toutefois pas le cas. La métacognition conceptuelle fournit à chaque agent une « théorie naïve » de ses compétences et de ses incompétences sur la base des expériences antérieures, et surtout des croyances véhiculées dans sa culture. Ces théories naïves...