Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ŒDIPE COMPLEXE D'

Pour Freud, le complexe d'Œdipe, inséparable de la découverte de l' inconscient, désigne à la fois le « complexe nucléaire de la névrose » et le « point nodal » du désir infantile (en tant que « l'inconscient, c'est l'infantile en nous ») : la sexualité infantile y culmine et la sexualité adulte s'y décide, dans ses divergences et dans ses impasses autant que dans sa norme. Nodal, le complexe d'Œdipe l'est aussi pour ce que Freud appelle le « malaise dans la civilisation » et pour l'ensemble des productions de la culture, rassemblant en lui « les commencements de la religion, de la moralité, de la société et de l'art » (Totem et tabou).

Le terme de complexe est à prendre au sens propre : croisement de relations, nœud dans un réseau. Mailles resserrées d'un filet où le désir est pris. Si l'inconscient est ce texte ou réseau fonctionnant selon le double mécanisme du déplacement et de la condensation ou, selon Lacan, de la métonymie et de la métaphore (car « l'inconscient est structuré comme un langage »), le complexe d'Œdipe est le point nodal par excellence du texte inconscient et donc, comme dans les mises en scène du rêve, la représentation par excellence du désir inconscient. Reste à savoir quelle nécessité comporte cette représentation, quelle fatalité pousse le désir précisément au carrefour œdipien.

Œdipe, notre destin

« Mais où retrouver à présent la trace presque effacée de l'ancien crime ? » (Sophocle, Œdipe-Roi).

<it>Œdipe et le Sphinx</it>, Ingres - crédits : Maurice Babey/ AKG-Images

Œdipe et le Sphinx, Ingres

Œdipe : fils du roi de Thèbes, condamné par l'oracle à tuer son père et épouser sa mère, abandonné, exposé par son père à sa naissance, recueilli par le roi de Corinthe, puis, apprenant à Delphes l'oracle, fuyant ses parents supposés. Alors, au hasard des chemins, meurtrier de Laïos, son père, l'inconnu heurté au carrefour, l'étranger sans nom. Vainqueur, ayant résolu son énigme, du Sphinx qui ravageait Thèbes, époux, en récompense, de Jocaste, sa propre mère. Roi de Thèbes à ses côtés, à la place de Laïos. Contraint enfin, par la peste qui s'abat sur la ville, à cette enquête sur son propre destin au bout de laquelle la vérité éclate d'un éclat meurtrier, insupportable : l'oracle à son insu réalisé. Œdipe qui la regarde en face, comme le soleil, ne peut qu'en devenir aveugle, et, les yeux crevés, recommencer son errance.

La « peste » psychanalytique, comme disait Freud à Jung, ou plutôt notre propre « malaise », la peste de notre civilisation, nous oblige à la même enquête (Freud comparait le déroulement de la tragédie de Sophocle au processus d'une analyse), à la recherche d'une trace presque effacée, indéchiffrable, qui fait notre destin, d'un meurtre inconnu qui ravage encore notre présent ; nous oblige à reconnaître en Œdipe, non le visage d'un semblable, mais l'identité d'un destin. Nous y oblige au nom de quoi, sinon de la loi même qui prend voix dans Œdipe, sinon de la force contraignante d'une même nécessité ? Née de la peste, la psychanalyse n'a sans doute d'autre tâche que de ramener nos discours à cette prise de voix, soit à l'oracle qui se vocifère à l'orée de notre histoire, de dénuder, moins en usant de la représentation œdipienne qu'en l'usant enfin jusqu'à sa trame séculaire, la loi sans figure qui décide de nos sorts. Sa tâche, c'est-à-dire non seulement son devoir scientifique, mais la nécessité de son éthique.

« Il doit y avoir à l'intérieur de nous une voix prête à reconnaître en Œdipe la puissance contraignante du destin [...] Son destin ne nous saisit que parce qu'il aurait pu être aussi le nôtre, parce que l'oracle a lancé contre nous avant notre naissance la même malédiction que contre lui. À nous tous peut-être il a été départi de porter[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Média

<it>Œdipe et le Sphinx</it>, Ingres - crédits : Maurice Babey/ AKG-Images

Œdipe et le Sphinx, Ingres

Autres références

  • CASTRATION, psychanalyse

    • Écrit par
    • 697 mots

    Bien que la hantise de la castration ait laissé son empreinte sur la Traumdeutung (L'Interprétation des rêves), la notion n'en a été dégagée par Freud qu'à une époque tardive, dans le contexte initial de l'homosexualité et de la phobie infantile. S'agit-il d'abord...

  • COMPLEXE, psychanalyse et psychologie

    • Écrit par
    • 1 097 mots
    • 1 média

    Le terme « complexe » appartient au vocabulaire de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse. C'est le psychiatre suisse Carl Gustav Jung qui, en 1902-1903, dénomme ainsi les phénomènes qu'il découvre lorsqu'il réalise son expérience des associations de mots. En effet, Jung,...

  • CULPABILITÉ

    • Écrit par
    • 9 684 mots
    • 1 média
    Bien qu'elle n'ait jamais entraîné de débat analogue à celui que Bronisław Malinowski souleva en 1927 en contestant l'universalité du complexe d'Œdipe, la question est souvent posée de savoir si le sentiment de culpabilité, qui n'est pas sans rapport avec celui-ci puisqu'il procède lui-même...
  • DESTIN

    • Écrit par
    • 2 492 mots
    ...Green). La question se pose de savoir pourquoi c'est à Œdipe que Freud emprunte le modèle qui le définit comme structure universelle. Il s'en explique : « Pour moi, une série de suggestions prirent leur origine à partir du complexe d'Œdipe dont je reconnaissais l'ubiquité. Le choix, voire la création...
  • Afficher les 27 références