ŒDIPE COMPLEXE D'
Formes du complexe
À rebours de la représentation théâtrale et de sa dissimulation, le « mythe freudien de l'œdipe », selon la formule de Lacan, dessine un autre espace qui serait à la limite (et justement comme la limite de la représentation) la représentation nue de cet accomplissement de désir de notre enfance, la représentation nue du désir inconscient : la rivalité sexuelle pour la femme et le désir de tuer le père, dans une nudité, dit Freud, qu'aucune élaboration poétique, de Sophocle à Shakespeare et à Dostoïevski, ne supporte. Reste à savoir si aucune représentation ne la supporte, si toute représentation n'en est pas déjà, comme telle, la dissimulation, car si ce que le mythe freudien doit démontrer, à l'ouverture du désir, c'est que le vrai père est le père mort, est-ce une vérité qui se puisse laisser voir, qui puisse se rendre présente ?
Point nodal de la sexualité infantile, le complexe d'Œdipe croise le jeu de l'amour et de la haine sur le clivage des sexes, noue le désir du sujet aux signifiants du désir de l'Autre d'où, et d'où seulement, peut s'articuler pour lui la question de son être, quand face au père et à la mère (à ceux qui en portent les signifiants) se posent pour lui les questions de la vie, du sexe et de la mort : désir de savoir, dit Freud, qui, joignant sa force à la crue libidinale par laquelle alors la pulsion génitale prend le pas sur les autres pulsions partielles, porte le désir œdipien. L'enfant entre par là sous la domination du complexe : dans la forme simple qui constitue le modèle initial de l'œdipe freudien, le petit garçon « commence à désirer sa mère elle-même au nouveau sens [de désir sexuel génital] et à haïr de façon nouvelle son père, comme le rival qui barre le chemin de ce désir ». Conflit des deux relations au nœud desquelles l'enfant s'inscrit : « De très bonne heure il déploie pour sa mère un investissement d'objet qui prend son départ du sein maternel et qui constitue le modèle d'un choix d'objet selon le type par étayage ; du père, le garçon s'empare par identification. Les deux relations subsistent un moment côte à côte, jusqu'à ce que, par le renforcement des désirs sexuels envers la mère et la perception que le père est pour ces désirs un obstacle, se produise le complexe d'Œdipe. L'identification au père prend alors une teinte hostile, elle tourne au désir d'écarter le père et de le remplacer auprès de la mère. Dès lors la relation au père est ambivalente ; c'est comme si l'ambivalence contenue depuis le début dans l'identification était devenue manifeste » (S. Freud, « Le Moi et le Ça »). Mais de ces désirs, ainsi tournés dans le conflit œdipien vers la possession sexuelle de la mère et vers la mort du père, l'accomplissement ne peut venir, et leur mouvement n'a d'autre issue que de se poursuivre dans une activité de fantasme : activité qui prend aussi bien la forme de ce travail intellectuel que constituent les « théories sexuelles infantiles » que celle des productions imaginaires qu'englobe chez Freud le terme de « roman familial ». La forme de satisfaction proprement sexuelle qui demeure, dans ce suspens, compatible avec l'impossibilité que rencontre dans la réalité le désir, c'est la masturbation : satisfaction qui n'est pas en elle-même accomplissement de désir mais seulement « décharge génitale de l'excitation sexuelle appartenant au complexe », satisfaction riche encore des odeurs du corps de la mère et des faveurs du corps propre, mais comme tournée vers l'impossible et l'inaccompli même du désir.
La forme simple du complexe, cependant, est une simplification. Ce qui se noue du désir dans l'espace des relations triangulaires se[...]
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Écrit par
- Claude RABANT : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média
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