Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ŒDIPE COMPLEXE D'

Le dehors

Plus qu'un refoulement, la fin du complexe d'Œdipe doit en être la destruction : le processus, dit Freud dans « Le Déclin du complexe d'Œdipe », « équivaut, idéalement exécutée, à une destruction et à une annulation (Aufhebung) du complexe ». Doit. Ce doit (avec ce doigt, le symbole phallique, qui lui sert d'index) marque, non le devoir, qui s'hérite du complexe d'Œdipe avec dans son sillage le sentiment de culpabilité (comme effet de la persistance du désir œdipien dans l'inconscient), mais plus hautement la nécessité (celle justement d'en finir avec l'héritage et le devoir), la nécessité envers laquelle, elle qui est l'envers même de nos sorts, nous sommes toujours en reste. Le reste du père. Ce reste qui s'appelle notre destin, car « le destin aussi n'est finalement qu'une projection tardive du père » (« Dostoïevski et le parricide »). Nous, les fils attardés à ce crépuscule, contemplons encore sur l'écran de l'histoire l'ombre du père : marquant de cette ombre la limite indiscernable, traçant au vide un bord, à la nuit un seuil. « La dernière figure de cette série qui commence aux parents est l'obscure puissance du destin que seul un très petit nombre d'entre nous peut saisir impersonnellement » (« Le Problème économique du masochisme »). Interminable de la série parentale, à l'extrême de laquelle la figure et le nom doivent disparaître, ne laissant que la force pure de la nécessité, la force excessive, invincible, l'Übermacht qui nous broyant au moulin des mots nous ramène à la détresse, à l'absence d'appui, à l'Hilflosigkeit où dès la naissance se perd notre cri. Autre nom de la mort, de la puissance contre laquelle il n'est pas de remède, qui est l'irrémédiable même. (À quoi l'illusion religieuse prétend parer, c'est en cela justement qu'elle est illusion.) Nous, les sans-appui, n'avons d'autre recours et d'autre droit que l'Hilflosigkeit elle-même, et la dignité de notre solitude. Car il faut bien à la fin passer dehors, quitter la maison du père et l'abri de son nom, aller vers le dehors où tout demeure à jamais étranger, vivre dans l'étrangeté inquiétante de l'absence de foyer. « L'homme ne peut pas éternellement rester enfant, il doit à la fin passer dehors, dans la vie hostile » (S. Freud, L'Avenir d'une illusion). Chacun dans la rue foulant la trace de son propre destin.

Mais nul ne peut voir son destin sans mourir.

— Claude RABANT

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Média

<it>Œdipe et le Sphinx</it>, Ingres - crédits : Maurice Babey/ AKG-Images

Œdipe et le Sphinx, Ingres

Autres références

  • CASTRATION, psychanalyse

    • Écrit par
    • 697 mots

    Bien que la hantise de la castration ait laissé son empreinte sur la Traumdeutung (L'Interprétation des rêves), la notion n'en a été dégagée par Freud qu'à une époque tardive, dans le contexte initial de l'homosexualité et de la phobie infantile. S'agit-il d'abord...

  • COMPLEXE, psychanalyse et psychologie

    • Écrit par
    • 1 097 mots
    • 1 média

    Le terme « complexe » appartient au vocabulaire de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse. C'est le psychiatre suisse Carl Gustav Jung qui, en 1902-1903, dénomme ainsi les phénomènes qu'il découvre lorsqu'il réalise son expérience des associations de mots. En effet, Jung,...

  • CULPABILITÉ

    • Écrit par
    • 9 684 mots
    • 1 média
    Bien qu'elle n'ait jamais entraîné de débat analogue à celui que Bronisław Malinowski souleva en 1927 en contestant l'universalité du complexe d'Œdipe, la question est souvent posée de savoir si le sentiment de culpabilité, qui n'est pas sans rapport avec celui-ci puisqu'il procède lui-même...
  • DESTIN

    • Écrit par
    • 2 492 mots
    ...Green). La question se pose de savoir pourquoi c'est à Œdipe que Freud emprunte le modèle qui le définit comme structure universelle. Il s'en explique : « Pour moi, une série de suggestions prirent leur origine à partir du complexe d'Œdipe dont je reconnaissais l'ubiquité. Le choix, voire la création...
  • Afficher les 27 références