CONCEPT DE SANTÉ
Théories de la santé : entre fonctionnement physiologique et bien-être
Trois grandes familles conceptuelles peuvent être distinguées, qui ont chacune l’ambition de proposer un sens général de l’idée de santé.
L’équilibre ou l’homéostasie
La notion d’équilibre est très présente dans l’histoire de la médecine, dès les écoles hippocratiques et galéniques de la médecine occidentale. Un individu sain est un individu pour lequel les différentes propriétés primaires du corps – qui deviendront les humeurs (sang, phlegme, bile jaune, bile noire) – sont en équilibre les unes par rapport aux autres. L’idée d’équilibre est importante dans d’autres traditions de médecine non occidentales comme dans la tradition ayurvédique, en Inde. On la retrouve au sein de la médecine occidentale plus récemment avec la notion d’homéostasie de Walter Cannon (1946) qui décrit la manière dont les diverses fonctions physiologiques du corps se contrôlent les unes les autres et interagissent dans des boucles de rétroaction pour prévenir des déséquilibres à l’origine des troubles. Toutefois, cette notion, comme l’a montré le philosophe Christopher Boorse en 1977, est confrontée à trop de limites pour constituer un concept général de santé : de nombreux phénomènes biologiques généralement considérés comme sains et fonctionnels reposent sur des bouleversements de l’équilibre plutôt que son maintien, ainsi la croissance, la locomotion, la perception, la reproduction.
Fonction naturelle et théorie biostatistique de la santé
Dans le cadre des débats suscités par la définition très large de l’OMS, Boorse propose donc, dans son article de 1977, de revenir à une définition négative et restreinte de la santé, reposant sur l’opposition normal/pathologique jugée fondatrice de la médecine occidentale moderne. Il existe pour lui au moins un concept théorique de santé qui est objectif, empirique et indépendant des valeurs, d’autres concepts pratiques et normatifs pouvant se greffer sur ce dernier. L’intention est d’extraire la définition implicite de la médecine occidentale à partir de ses définitions et classifications des maladies. Cette définition repose, selon Boorse, sur trois concepts non normatifs : la fonction biologique, la subnormalité statistique et la classe de référence. La fonction est elle-même définie comme une contribution causale à un but dans un système donné, ici l’organisme biologique envisagé comme une hiérarchie de moyens et de fins et dont les buts sont la survie et la reproduction. La classe de référence est une classe naturelle d’organismes avec un design fonctionnel uniforme, c’est-à-dire un groupe d’individus d’âge et de sexe identiques au sein d’une espèce. Elle est déterminée de manière empirique. La santé théorique est alors le fonctionnement normal d’un organisme, c’est-à-dire un organisme dont les parties ou processus contribuent à sa survie et sa reproduction d’une façon qui est typique d’une classe de référence. Par exemple, un cœur fonctionne normalement s’il réalise toutes les contributions statistiquement typiques à la survie et à la reproduction qu’un cœur assure dans une classe de référence.
L’intérêt de ce concept théorique est de distinguer le jugement physiopathologique du jugement évaluatif ou prescriptif. Si la santé est souvent valorisée, cette valorisation ne constitue pas un critère essentiel du concept théorique – ainsi, l’infertilité pathologique peut être valorisée par certains individus. Il est par suite justifié de distinguer le jugement théorique sur ce qui relève de la pathologie du jugement subjectif du patient, mais aussi du jugement clinique, diagnostique (évaluatif) ou thérapeutique (prescriptif) du médecin pour un patient singulier, ces derniers jugements étant liés à d’autres concepts pratiques de la maladie. Il existe des pathologies asymptomatiques[...]
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Écrit par
- Élodie GIROUX : professeure des Universités en philosophie des sciences et de la médecine, université Jean-Moulin Lyon-III
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