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CONCEPT DE SANTÉ

La santé a-t-elle des limites ?

Santéisme, but ou risque ? - crédits : David Izquierdo/ 500px/ Shutterstock

Santéisme, but ou risque ?

L’absence de définition consensuelle de la santé peut entraîner ce qui est dénoncé comme des risques de surmédicalisation et de « santéisme » (healthism), eux-mêmes liés à la question des limites de l’extension de l’usage de ce terme.

Risques de surmédicalisation et de santéisme

La définition de la santé de l’OMS comme état complet de bien-être physique, mental et social est presque sans limites. Les définitions de la santé à partir de la capacité permettent de restreindre cette définition en précisant le type de bien-être en jeu dans la santé. Néanmoins, elles restent critiquées pour leur étendue, leur connexion à la notion de bien-être et l’effacement de toute distinction entre un simple état de bonne santé et le fait d’être doté de capacités supérieures comme une très grande intelligence ou une très grande capacité respiratoire. Intégrer des aspects sociaux et psychiques dans la définition de la santé et prendre en compte les circonstances et les facteurs plus distants ou plus structurels comme les « déterminants sociaux de la santé » (l’éducation, le statut socio-économique, les inégalités sociales, etc.) peut favoriser une surmédicalisation de nos vies ordinaires à travers une extension inappropriée du pouvoir médical, comme le soulignait Ivan Illich (1975), et une confusion du social, du pouvoir politique et de la santé. C’est une critique qu’on trouve formulée aussi chez Michel Foucault (1977) à partir de la notion de « biopolitique », qui caractérise cette forme spécifique de pouvoir politique s’exerçant non plus sur un territoire mais sur la vie des individus et d’une population. En raison de cette confusion, un problème qui est en grande partie de nature sociale ou structurelle – comme l’obésité ou le burn out – a tendance à être entièrement délégué au médical, et même à la responsabilité individuelle, permettant ainsi aux responsables politiques de se délester de la prise en charge de questions mettant pourtant en jeu l’industrie alimentaire au sens large ou l’organisation du travail dans une société.

Toutefois, un problème posé par différentes critiques de la surmédicalisation est qu’elles présupposent l’existence d’une définition consensuelle et claire de ce qu’est, d’une part, une pratique ou une réalité médicale et, d’autre part, une médicalisation légitime et appropriée. Or c’est loin d’être le cas et ce que recouvre le « médical » est multiple et hétérogène. Les conseils d’hygiène ou les mesures d’assainissement, et plus généralement toute intervention sur l’environnement en vue d’améliorer la santé d’une population par exemple, relèvent-ils de la médicalisation ? L’enjeu est dès lors de préciser les différentes formes de médicalisation à l’œuvre, de distinguer la médicalisation de la pathologisation et de bien peser les gains et les pertes associés pour les populations concernées : prise en charge et déculpabilisation versus stigmatisation, surveillance et contrôle.

En découplant santé et médecine, les théories de la santé qui reposent sur la notion de capacité échappent en partie aux critiques de la surmédicalisation. Il s’agit, par exemple, d’envisager le stress comme relevant d’un problème de santé, sans pour autant le réduire à une étiologie individuelle et sans le considérer comme devant être nécessairement pris en charge par la médecine. Cependant, la santé conserve dans nos représentations un lien étroit avec la médecine. Surtout, ce découplage entre médecine et santé peut renforcer un autre risque de l’élargissement du concept de santé : le poids que prend la valeur de la santé dans nos sociétés contemporaines, valeur qui tend à l’emporter sur les autres et à devenir aussi une norme et même un impératif moral ou une forme d’idéologie. La notion de « santéisme » introduite par[...]

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Écrit par

  • : professeure des Universités en philosophie des sciences et de la médecine, université Jean-Moulin Lyon-III

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Médias

<em>Die Medizin</em>,<em> </em>Gustav Klimt - crédits : Content_DFY/ Aurimages

Die Medizin, Gustav Klimt

Santéisme, but ou risque ? - crédits : David Izquierdo/ 500px/ Shutterstock

Santéisme, but ou risque ?

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