CONCERT
Le concert par association d'auditeurs
Dans tout ce qui précède, il n'est à aucun moment question d'ouvrir à des inconnus, sur simple appel d'annonce, une salle de concert ni pour le public de payer sa place pour venir écouter de la musique. Selon le cas, le public est le fidèle de l'assemblée ou l'invité du prince (voire du maître de maison). De même, le musicien est un fonctionnaire travaillant à forfait, ou un salarié occasionnel, rémunéré par le maître du lieu ; parfois même, c'est un invité bénévole. Sa musique ne s'adresse pas au tout-venant, il suffit qu'elle plaise au maître de céans et à ses invités. D'où l'influence des « grands mécènes » : l'emphase flatteuse des dédicaces qu'on leur adresse en est un témoignage.
On peut déjà voir un premier symptôme d'évolution dans les « puys » ou festivités organisées par des confréries de « trouveurs », et destinées à un public sélectionné professionnellement, au lieu de l'être socialement ; la confrérie de la Sainte-Chandelle à Arras fut sans doute au xiiie siècle l'une des plus anciennes, et l'usage se prolongera jusqu'au xvie siècle allemand avec les Meistersinger qu'a célébrés Wagner. Toutefois, la forme privilégiée en était le concours, et l'aspect compétitif l'emportait souvent sur les autres critères.
Cette transition conduit à la formule de l'« académie », qui régira un nouveau et important secteur du concert jusqu'au milieu du xixe siècle. À l'origine de l'académie, on trouve ce mobile universel que fut, depuis la Renaissance, la nostalgie d'une Antiquité grecque idéalisée. Le souvenir des jardins d'Académos, où Platon réunissait ses disciples, ne cessant de hanter les esprits, une société d'humanistes fut, sous le nom d'Académie, fondée vers la fin du xve siècle, dans l'entourage de Laurent de Médicis, puis des dizaines d'associations similaires éclosent dans toute l'Italie et, de là, se multiplient en France et en Angleterre. C'étaient des réunions de beaux esprits, où l'on était admis par cooptation, parfois sur examen, et où l'on parlait de tous les sujets intellectuels et artistiques : littérature, mathématiques, beaux-arts, musique. De même que les poètes y lisaient leurs vers, les musiciens y faisaient entendre leurs œuvres, y mêlant celles de leurs confrères ; c'est ainsi que les académies devinrent, entre autres choses et sans s'y spécialiser, le cadre de véritables concerts, offerts non plus à des invités choisis par les puissances du rang ou de l'argent, mais à des cénacles clos, dont les membres étaient sélectionnés pour leur valeur intellectuelle. Les académies nationales officielles, aujourd'hui partout en activité, ont conservé un programme de travail similaire.
Des académies polyvalentes où la musique était un élément parmi d'autres, et qui jouèrent un grand rôle, notamment dans l'« invention » de l'opéra entre 1590 et 1610, on passa peu à peu à l'idée d'académies spécialisées, et la musique fut l'une des premières à en bénéficier. On eut donc des « académies de musique », dont l'une des occupations essentielles devint l'organisation de concerts à l'usage d'un cercle d'invités. Pendant longtemps, organiser un concert s'appela « donner une académie », et l'Opéra de Paris a conservé de ces usages son nom d'Académie de musique et de danse. L'Académie de poésie et de musique, fondée par Jean Antoine de Baïf en 1570, et qui fut comme une première ébauche de la future Académie française, était remarquable par le statut qui régissait son activité de concerts : les musiciens étaient salariés à forfait et bénéficiaient d'une retraite ; un cahier des charges[...]
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Écrit par
- Jacques CHAILLEY : ancien directeur de l'Institut de musicologie de l'université de Paris
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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