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CONCUPISCENCE

Du latin concupiscere, désirer ardemment (même origine : cupere, désirer, convoiter, d'où est tiré le nom romain du dieu de l'Amour, Cupidon, identifié à l'Éros des Grecs). Dans la langue courante, concupiscence désigne le penchant à jouir des biens sensibles, voire l'attachement aux plaisirs sensuels. Dans la langue philosophique et théologique, l'amour de concupiscence se distingue de l'amour de complaisance et de l'amour de bienveillance. L'amour de concupiscence tend à la satisfaction des désirs éprouvés par le sujet qui aime (c'est un amour égocentrique, intéressé). L'amour de complaisance trouve son plaisir dans le bonheur que ressent l'être aimé (c'est un amour allocentrique, désintéressé). L'amour de bienveillance recherche le bien de la personne aimée (c'est un amour altruiste, une générosité en quête de ce qui est bon pour autrui).

Ces distinctions, établies au Moyen Âge, sont toujours en vigueur à la période classique (François de Sales, Descartes, Malebranche, Bossuet). La scolastique médiévale ne les a pas forgées de toutes pièces. La volonté de bien (« bienveillance »), la volonté qui prend plaisir au contentement d'autrui (« complaisance »), la volonté qui est un élan de nature, une tendance à la fois rationnelle et vitale, mais nécessaire, donc distincte du choix réfléchi, de la volition libre et raisonnée, ou encore le vouloir comme tendance fondamentale, comme désir naturel (« concupiscence »), comme puissance de conservation de soi, de persévérance dans l'être, de développement et d'épanouissement, toutes ces notions qui inspirent la psychologie morale des penseurs du xiiie siècle, notamment de Thomas d'Aquin, dérivent des suggestions de Jean Damascène (mort en 749), de Némésius (env. 400), de Posidonius d'Apamée (env. ~ 135-~ 51), et renvoient globalement à des sources platoniciennes, aristotéliciennes, stoïciennes, néo-platoniciennes, patristiques.

La distinction des deux appétits, concupiscible et irascible, telle qu'on la rencontre chez Thomas d'Aquin (Somme théologique et « question disputée » Sur la vérité), dérive plus précisément d'Aristote (Traité de l'âme, considérations sur le désir et l'aversion, la poursuite et la fuite, qui sont deux actes de la faculté sensitive). L'appétit concupiscible subit l'attrait du plaisant, du convenable et de l'agréable. L'appétit irascible se détourne du pénible, de l'adverse et de l'ardu.

Pour les historiens de la morale, l'ensemble de ces distinctions rappelle que le vocabulaire du désir, même en contexte chrétien, est largement emprunté à l'Antiquité classique. Cependant, certains écrits tardifs du Nouveau Testament ont joué un rôle d'incitation. C'est le cas, en particulier, de la première Épître de Jean, ii, 16 (« concupiscence de la chair, concupiscence des yeux ») à rapprocher de Tite, ii, 12 (et de Proverbes, xxvii, 20). En grec, Jean utilise le mot épithumia, désir-passion : d'où l'empressement des Pères grecs à relire Platon, qui use du même vocable dans sa théorie du désir. Le latin de la Vulgate traduit par concupiscentia, concupiscence. Comme ce terme, dans le passage cité, paraît désigner soit la convoitise de sexualité, soit la convoitise de curiosité, il n'a pas tardé à être pris systématiquement en mauvaise part (surtout pour la « concupiscence de la chair » : cette expression a fondé toute une tradition de rigueur puritaine). En fait, le véritable sens de I Jean ii, 16, réside dans l'opposition de l'amour de Dieu et de l'amour du monde (ou des objets du monde) : par quoi il faut entendre, en conformité avec le message de Paul, que le salut vient de Dieu seul, de ses initiatives, de ses dons, et que toute tentative d'y accéder par[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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