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CONCURRENCE, économie

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La concurrence définit un type de rapports entre les acteurs de la vie économique caractérisé par la liberté de contracter, de commercer, de circuler et d'entreprendre. Elle donne libre cours à des comportements humains très répandus dans un monde aux ressources rares : de la simple émulation et de la compétition d'allure sportive à des actes de rivalité agressive. C'est pourquoi la concurrence est un de ces mots qui trouve des qualificatifs tels que loyale, déloyale, parfaite, praticable ou sauvage, exprimant, entre autres, la fierté ou le dépit des concurrents selon le succès ou l'échec de leurs efforts.

La plupart des économistes de profession académique l'abordent sous un angle particulier. Elle désigne, selon eux, le mécanisme de marché par lequel de nombreux candidats à l'échange d'un bien trouvent à s'accorder sur un prix d'équilibre mutuellement satisfaisant, car compatible avec les intérêts opposés des acheteurs et des vendeurs. Selon les hypothèses retenues, la théorie économique évoquera des marchés de concurrence « pure et parfaite » (C.P.P.), pour mettre en évidence a contrario les nombreuses sources d'imperfections que l'observation des pratiques les plus courantes révèle.

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Pour autant, la concurrence telle que la ressentent ses acteurs présente des traits dont l'observation des marchés ne rend pas compte. Tant sur les marchés des biens de consommation que, à plus forte raison, sur ceux des matières premières, des biens intermédiaires et des biens d'équipement, la concurrence concerne directement le monde des producteurs. Les consommateurs, situés en bout de course, sont placés dans une situation d'infériorité devant le monde organisé des producteurs. C'est pourquoi la concurrence doit être analysée aussi en examinant les stratégies des entreprises de production.

Cela s'impose d'autant plus que l'échelle de temps propre aux événements de marché ne coïncide pas avec celle qui gouverne les entreprises. Le temps du marché est plus court que celui de la firme. Un acheteur ou un vendeur peut faire affaire en un instant. Et la théorie longtemps dominante raisonne sur les ajustements quasi instantanés que les marchés concurrentiels sont censés opérer, que ces ajustements se fassent par l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché en cas de pénurie ou par l'éviction de concurrents installés en cas de mévente. La rivalité entre les entreprises ouvre en revanche de nouvelles perspectives. Comme l'exprime le dicton « jamais de mémoire de rose on ne vit mourir un jardinier », tout créateur d'entreprise a le projet de survivre au-delà de la durée de vie du produit qu'il a lancé avec succès. Dans cette optique, la concurrence se vit comme une suite de compétitions, les unes gagnées, les autres perdues sans pour autant compromettre nécessairement la survie de l'entreprise. La concurrence se déroule dans une durée indéfinie, où la perte d'un contrat ne condamne pas automatiquement à la mise en liquidation, même si une série de coups malheureux peut être fatale. Le répertoire des réponses employées par Airbus et Boeing, par exemple, est suffisamment étendu pour leur permettre de surmonter des difficultés passagères. En conjoncture normale, les entreprises affectées par des chutes de bénéfices ou des pertes financières survivent en puisant dans les réserves accumulées dans les années prospères, se réorganisent en réduisant leurs frais généraux, et lancent de nouveaux produits, éventuellement sur de nouveaux marchés, avec des procédés de production plus performants.

La concurrence sera donc présentée dans une double perspective. On exposera d'abord les propriétés remarquables du marché de « concurrence pure et parfaite » et, par comparaison, celles de structures de marché plus proches de la concurrence telle qu'elle se pratique dans les échanges courants. Dans la deuxième perspective, on abordera, en amont de l'offre et de la demande de biens sur les marchés, le rôle de la concurrence dans les processus de production et les stratégies des firmes compétitrices. On exposera enfin les raisons justifiant que les États s'attachent à protéger la concurrence par des règles de droit spécifiques et les raisons qui conduisent à douter qu'elle soit bienfaisante dans tous les cas de figure.

Le marché de concurrence pure et parfaite

La théorie néo-classique, principalement représentée par Léon Walras et Vilfredo Pareto, donna à la fin du xixe siècle l'expression la plus achevée d'une structure de marché qui se situe aux antipodes du monopole. Elle expose une vision strictement individualiste de la société, au point de confondre l'entreprise avec la personne de son fondateur et dirigeant. Seuls acteurs, les individus sont supposés parfaitement rationnels et capables de décider au mieux de leurs intérêts, c'est-à-dire de maximiser le rapport entre les satisfactions ressenties et les sacrifices requis pour les obtenir par l'échange de bien contre monnaie. Les rapports sociaux se résument à des relations d'échange marchand.

D'une manière générale, les marchés informent les clients potentiels sur la qualité, la quantité et les prix des biens offerts à la vente. Ils informent les fournisseurs potentiels sur l'ampleur de la demande solvable susceptible de s'adresser à leur produit. Ils organisent en des lieux géographiques donnés ou sur Internet la rencontre des offres et des demandes existant à un moment donné. Les dispositions des échangistes à vendre et à acheter, pour un bien de qualité donnée, varient en fonction des prix proposés.

Les conditions d'un marché de concurrence pure et parfaite

Le marché est dit de « concurrence pure et parfaite » si plusieurs conditions sont réunies. On suppose la présence d'un très grand nombre de vendeurs et d'acheteurs, aucun n'étant capable d'influer sur le prix du marché par ses propres décisions ; la qualité du bien est supposée homogène, de sorte que les clients choisissent leur fournisseur exclusivement en fonction des prix proposés par les concurrents. Le marché est dit parfait si les offreurs ont égal accès à l'information sur le meilleur état des techniques du moment et sur les prix proposés, s'ils sont indépendants les uns des autres (absence de collusion). La concurrence est dite complète si les marchés de capitaux et du travail répondent aux mêmes conditions.

Dans ce cas d'école, les forces anonymes du marché font converger les prix proposés vers un prix unique. Ce prix d'équilibre égalise les quantités offertes et demandées en éliminant excédents et pénuries. Ce prix est unique à un moment donné, en ce sens que tout écart serait immédiatement découvert et donnerait lieu à des opérations d'arbitrage consistant à acheter au prix bas pour revendre à un prix plus élevé et réciproquement. Dès lors, aucun acteur n'a le sentiment d'avoir fait une mauvaise affaire en ayant manqué une occasion de vendre plus cher le bien ou de l'acheter à meilleur marché. Le prix d'offre des vendeurs couvre le coût total de production du bien en travail et en capital. Un tel univers ne laisse aucune place à un profit durable. Les concurrents sont également rationnels, compétents et informés. Dans un monde sans risque, les gagnants ne font aucun bénéfice et les perdants sortent du marché. Les prix de réserve que les clients potentiels sont disposés à payer varient selon leurs préférences et leurs revenus. Certains d'entre eux peuvent être disposés à payer plus cher le bien que le prix d'équilibre, auquel cas ils jouissent d'une rente d'acheteur ou surplus du consommateur. Mais leur prix de réserve est secret, ce qui est une faille dans le postulat d'information parfaite.

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Si l'ensemble des marchés de biens et de facteurs de production réunissait ces conditions, le système fonctionnerait dans un état d'équilibre général conforme à un optimum économique. En effet, dans un tel état, la société alloue ses ressources de la manière la plus efficiente possible : les acheteurs affectent leurs budgets aux dépenses qui leur procurent un maximum de satisfactions ; les ressources en travail et en capital mobilisées pour la production se déplacent des marchés excédentaires (prix en baisse) vers les marchés de pénurie (prix en hausse). À l'équilibre, personne n'a intérêt à modifier ses décisions. L'offre totale de biens s'ajuste au gré des signaux de prix.

Le potentiel d'expansion individuelle des offreurs propre à la concurrence pure et parfaite est limité par la loi des rendements décroissants. D'après cette loi, qui exprime une contrainte d'ordre technique, le rendement obtenu en quantités produites d'un bien donné finit par diminuer à mesure qu'on augmente le nombre d'heures de travail. Nulle place pour le gigantisme dans un tel modèle. D'après cette loi, le rendement d'une production issue de l'emploi combiné de deux facteurs (travail et terre agricole ou travail et équipement matériel), dont l'un augmente en quantité, tandis que la quantité de l'autre facteur reste fixe, diminue à mesure que la quantité du facteur variable augmente. En d'autres termes et plus clairement, un producteur qui dispose d'un capital de 100 et obtient, avec un seul ouvrier, une production de 50, n'obtiendra une production que de 80 avec deux ouvriers supposés parfaitement interchangeables. Cette loi s'applique à tout facteur maintenu constant, quel qu'il soit : hectares de terres disponibles, capital investi, capacités managériales... Par conséquent, quand la demande connaît une forte expansion, l'offre du bien augmente grâce à l'entrée d'offreurs attirés par un prix du bien plus avantageux. La pression de la concurrence oblige les offreurs installés et potentiels à adopter le prix du marché, sous peine de voir la clientèle convoitée les déserter. Ce prix s'établit au plus bas niveau possible, compte tenu des coûts moyens de production dictés par la technique. La concurrence pure et parfaite décrit ainsi une société sans gaspillage, dans laquelle les individus – entrepreneurs ou ménages – tirent le meilleur parti possible de leurs ressources limitées. Elle dessine un régime idéal dans lequel l'intérêt des consommateurs (minimisation des prix et des coûts) passe avant toute autre considération.

L'élaboration du modèle de concurrence parfaite

Ce modèle ne s'est pas construit en un jour. Son élaboration, au fil du temps, doit beaucoup à Anne Robert Jacques Turgot (1757), Adam Smith (1776) et David Ricardo (1817), qui vantèrent les avantages de la libre concurrence. Antoine Augustin Cournot (1838) opposa le concept de monopole à celui de « concurrence illimitée », avant que le modèle ne trouve une forme plus achevée chez Léon Walras (1870). Cette élaboration épouse un siècle au cours duquel les transports terrestres ont connu un essor considérable, ce qui en a réduit fortement le coût, et a donc permis aux échanges commerciaux de se développer.

Si ce cas d'école repose sur des hypothèses très irréalistes, l'argument de l'irréalisme ne suffit pas à le rejeter comme une simple curiosité historique. Sa fécondité tient autant aux conclusions directes qu'on vient d'exposer qu'aux conclusions indirectes qu'on en tire quand on écarte une à une chacune des hypothèses initiales. On aborde alors le thème des imperfections de la concurrence dans le droit fil d'un courant de pensée inauguré par Edward Chamberlin (1933) et Joan Robinson (1933).

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Écrit par

  • : professeur émérite d'économie à l'université de Paris-IX-Dauphine

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